L’ANALGESIE PERIDURALE POUR LE TRAVAIL D’ACCOUCHEMENT : ETAT DES CONNAISSANCES ET PRATIQUES DANS UNE MATERNITE DE LIBREVILLE AU GABON

Sima Ole B1,3, Obame R2, Bang Ntamack J3, Bibang F1,3, Nzogue Nguema JP2, Mayi Tsonga S3, Meye JF3.

1 : Service de Gynécologie Obstétrique CHU d’Owendo
2 : Service d’Anesthésie et de Réanimation CHU d’Owendo
3 : Département de Gynécologie Obstétrique, Faculté de Médecine de Libreville

Correspondance : SIMA OLE : Mail : bsimaole@yahoo.fr. Tél : 0024107060638 BP : 18071 Owendo

 

RESUME

But : Analyser les causes qui justifient l’utilisation exceptionnelle de l’analgésie péridurale obstétricale, en milieu hospitalier à Libreville au Gabon.

Patientes et méthodes : Il s’est agi d’une enquête transversale réalisée à la maternité du CHU d’Owendo du 1er mars au 31 décembre 2016. Toutes les gestantes de plus de 34 semaines d’aménorrhée (SA), vues en consultation prénatale d’anesthésie pendant la période de l’étude ont été incluses. Les paramètres concernant la connaissance, la source de l’information, le souhait d’avoir cette information, la volonté ou non d’accoucher sous analgésie péridurale (APD) et la conception de la douleur au cours de l’accouchement ont été analysés.

Résultats : Deux milles cent quarante-cinq gestantes ont été interrogées, 1462 gestantes (68,18%) avaient indiquée connaitre l’existence de l’APD versus 683 (31,82%). La source de l’information était constituée par les médias 76,66% (n=1121), l’entourage de la femme 15,33% (n=224) et le personnel médical 8,01% (n=117). Recevoir l’information était le souhait de 1911 gestantes (89,09%). Par ailleurs, 1443 gestantes (67,27%) ne souhaitaient pas accoucher sous APD, même si 31,82% considéraient que l’APD n’était pas source de complications graves.

Conclusion : La péridurale pour l’accouchement reste mal connue par nos gestantes. Elles souhaiteraient avoir l’information sur l’analgésie péridurale, bien que la douleur soit considérée comme naturelle pour l’accouchement. Le personnel soignant devrait être plus impliqué dans cette activité.

Mots clés : péridurale obstétricale, connaissances, accouchement sans douleur.

ABSTRACT

Objective: Studied why the practice of obstetric epidural analgesia is exceptional in our context.

Patients and methods: a cross-sectional survey carried out at the Owendo Maternity Clinic from March 1st to December 31st, 2016. All pregnant women over 34 weeks of amenorrhea (SA), or more, seen in prenatal anesthesia during the period of study were included. The parameters concerning the knowledge, the source of the information and the wishing to have this information, the willingness or not to give birth under epidural analgesia (EPA), the conception of the pain during the childbirth and the number of epidural analgesia performed during this period were analyzed.

Results: Two thousand one hundred and forty-five pregnant women were interviewed, 1462 pregnant women (68.18%) indicated that they were aware of EPA versus 683 (31.82%). The source of the information was media 76.66% (n = 1121), relatives for 15.33% (n = 224) and medical staff for 8.01% (n = 117). Receiving information was the wish of 1911 pregnant (89.09%), while 1443 pregnant women (67.27%) did not wish to give birth under EPA. EPA did not cause serious complications for 31.82% pregnant women (n = 682) and 17 (2.42%) EPA were performed during this period.

Conclusion: The epidural for the delivery is not well known by our pregnant women. They want information, although pain is considered natural for childbirth. Caregivers should be more involved in this activity.

Keywords: obstetric epidural, knowledge, painless delivery.

 

INTRODUCTION

Dans la littérature, plus de 60% des parturientes décrivent le travail d’accouchement comme étant très douloureux et cette douleur est source d’angoisse, d’agitation et de stress [1,2]. L’analgésie péridurale obstétricale (APD) agit sur la douleur, la contraction utérine, le col et la progression du mobile foetal [2]. Parmi les techniques d’analgésie pour l’accouchement, c’est la technique de référence avec un faible retentissement materno-foetal [3]. Cette technique est largement pratiquée à travers le monde [4-6]. Cependant, elle reste encore marginale, voire exceptionnelle dans notre contexte, malgré l’existence d’un plateau technique adéquat et la permanence des médecins anesthésistes maitrisant cette procédure. Le but de cette étude était d’analyser les causes de cette situation.

 

MATERIEL ET METHODES

Il s’agissait d’une étude transversale, de type descriptif, réalisée à la maternité du CHU d’Owendo dans la période du 1er mars au 31 décembre 2016 (soit 10 mois). Toutes les gestantes de plus de 34 semaines d’aménorrhées (SA), dont la parité était supérieure ou égale à 1, vues en consultation prénatale (CPN) et adressées en consultation pré anesthésie prénatale systématique (CPAP) ont été inclues dans cette étude. Les critères de non inclusion des gestantes étaient les nullipares, les antécédents d’APD lors d’accouchements antérieurs et les grossesses pathologiques. Au cours de cette consultation, elles ont bénéficié de toutes les informations sur l’ADP, en termes de réalisation de la procédure, des avantages et des complications éventuelles. Ensuite, les facteurs d’acceptation ou derefus de l’APD ont été recherchés. Chez les obstétriciens et les sagesfemmes, le niveau de connaissance de cette procédure a été recherché. Une fiche de recueil de données a été établi et les paramètres suivants ont été étudiés: l’âge, la parité, le terme, la profession, la situation matrimoniale, la religion, la connaissance ou non de l’APD, la source de l’information (personnel médical, entourage, médias) et le vécu de la douleur de l’accouchement. Chez les praticiens hospitaliers (obstétriciens et sages-femmes), on recherchait les connaissances sur l’APD, en termes de pré requis enseignés à la faculté de médecine ou lors des formations continues, ainsi que sur la proposition de cette procédure lors des CPN. Le nombre d’APD réalisées, les indications et les éventuelles complications de l’ADP et les facteurs motivant son choix par les parturientes, ont également été notés. Le logiciel Microsoft Excel 2010 version 14.5.1 a servi de support pour l’enregistrement des données. Les résultats ont été exprimés en pourcentage pour les variables qualitatives et en moyenne pour les valeurs qualitatives.

 

RESULTATS

Durant cette période, nous avons réalisé 2470 CPN, et 2145 gestantes (86,84%) ont bénéficié d’une CPAP. L’âge moyen des gestantes était de 29 ans ± 2, le terme moyen des grossesses était de 37 semaines d’aménorrhées (SA) ±1, pour une parité moyenne chez les gestantes de 2±4. Nous avons retrouvé 1014 (47, 27%) gestantes sans emploi. Dans cette population générale, 751 (74,03%) avaient un niveau d’enseignement universitaire (tableau I).

Tableau I : profil sociodémographique des gestantes étudiées

Parmi les gestantes, 1462 (68,18%) reconnaissaient avoir une information sur l’ADP. Les sources d’information retrouvées, l’acceptabilité et les motifs du refus de cette procédure ont été résumés dans le tableau II.

Tableau II : connaissance, acceptabilité de l’ADP pour l’accouchement

Pour ce qui concerne l’expression conçue et le vécu de la douleur de l’accouchement, la douleur – était indispensable pour 1560 gestantes (72,72%) ; parmi toutes les gestantes, 1375 (88,12%) la trouvaient naturelle et pour 1433 (91,87%), c’était l’expression de leur féminité (tableau III). Les indications de l’ADP retrouvées dans la présente étude étaient les césariennes programmées, 6 cas (35,29%) et l’accouchement sans douleur 11 cas (64,70%). La principale motivation du choix de l’APD a été le refus de la douleur et la recherche d’une bonne analgésie postopératoire dans le cadre de la césarienne. Aucune complication n’a été constatée durant la période de l’étude.

Tableau III : expression de la douleur de l’accouchement

Les sages-femmes évaluées dans la structure hospitalière n’avaient bénéficié d’aucune formation sur l’APD aussi bien en formation initiale, qu’en formation continue. Les sources de connaissances sur cette technique étaient essentiellement les médias. Chez les obstétriciens, cette acquisition a eu lieu au cours des formations continues.
Cependant, tous étaient favorables à l’APD pour la prise en charge de la douleur de l’accouchement.

 

DISCUSSION

Ce travail a été réalisé dans une maternité de type IIIa située au sud de Libreville. Depuis les travaux de Sima Zué et col. [7] qui dénonçaient la place marginale de cette technique d’analgésie en obstétrique, la prise en charge de la douleur de l’accouchement ne bénéficie pas de protocoles établis dans les hôpitaux du Gabon et, particulièrement à Libreville, malgré l’existence d’infrastructures hospitalières modernes et la permanence de médecins anesthésistes rompus à cette procédure. L’administration des antispasmodiques constituent encore l’essentiel des analgésiques utilisés durant le travail d’accouchement dans notre contexte. Cette attitude s’explique par l’absence de l’enseignement de la prise en charge de douleur, particulièrement en obstétrique dans les programmes des écoles de formation des personnels soignants.

La douleur de l’accouchement est le fait des contractions utérines (CU), de la dilatation cervicale et de l’étirement des structures anatomiques pelviennes et périnéales lors du passage du mobile foetal [2, 3]. Elle a une composante essentiellement nociceptive et accessoirement inflammatoire, liée aux traumatismes anatomiques crées par le passage du mobile foetal. Les CU sont provoqués par la sécrétion d’ocytocine, l’administration d’antispasmodiques est inefficace sur la douleur du travail d’accouchement. Par son mécanisme d’action et son incidence foeto-maternelle quasi nulle, l’APD est la technique analgésique de référence dans ce cas. Elle est largement utilisée dans le monde depuis des années [6,8]. Cependant, sa pratique reste gestante dépendante dans nos structures hospitalières. Dans notre pratique et dans des structures privées, nous avons remarqué un besoin dans ce sens chez des gestantes ayant un niveau socio culturel élevé, particulièrement celles ayant bénéficié d’études universitaires. Ce constat corrobore celui d’autres auteurs qui trouvent une relation linéaire entre la demande de péridurale de l’accouchement et le niveau socio-économique lorsque les plateaux techniques sont adaptés et les médecins anesthésistes rompus à la procédure [9,11]. Ce que nous n’avons pas retrouvé, car, les gestantes universitaires dans notre série étaient sans emploi.

Le principal facteur à l’origine de la faible pratique de l’APD dénoncé par les équipes de Sima Zué et Ouro-Bang ’Maman [7,12] était le manque d’information des gestantes sur l’analgésie obstétricale et l’ADP. Il en a été de même dans notre étude et l’information était issue des médias chez la plus part des gestantes. De plus, seules 8,01% d’entre elles ont bénéficié d’une information par le personnel médical. Les médias et l’entourage n’apportent pas d’explications techniques sur l’APD. Cette situation est à l’origine des doutes, d’hésitations, voire de refus de la procédure. Ce qui pourrait expliquer les faibles taux de demande et de réalisation de l’APD chez les gestantes dans notre série.

Notre chiffre concernant l’acceptabilité est de 32,73%. Il est faible et loin de ceux observés au Nigéria en 2003 (57%), au Togo en 2007 (83,5%) [4,12]. Au Gabon il est ramené à 92% en 1999 après entretien [7]. En France métropolitaine, l’ADP bénéficie d’une bonne image auprès des femmes. Son incidence est sans cesse croissante. Elle varie entre 72 et 86% et bien au-delà dans les maternités de niveau III [8]. Notre chiffre devait être élevé si nos gestantes étaient au fait de l’existence de cette procédure, de ses avantages et de ces risques par le biais des prestataires médicaux.

L’amélioration de l’information des gestantes passe par la formation des personnels soignants (accoucheurs) sur la prise en charge de la douleur de l’accouchement. Cette politique de formation faciliterait la vulgarisation de l’APD lors des CPN par les sages-femmes et les obstétriciens, ainsi que lors des CPAP. Cette démarche pédagogique explique des forte taux d’adhésion des gestantes à l’APD, comme au Nigéria et au Togo et dans les pays occidentaux [4, 12-14].

L’analyse des facteurs de refus de l’APD fait ressortir une influence majeure des considérations socio-culturelles et religieuses de l’accouchement [9,10,14]. En effet, ces gestantes considèrent la douleur comme un élément constitutif obligatoire de l’accouchement. Dans notre série, 88, 12% la trouve normale et 91,81% pensent que c’est l’expression de leur féminité. Ainsi, le bas niveau socio-économique et éducatif, ainsi que les croyances religieuses sont associés au refus de l’APD. Cette observation corrobore celle de Ray et col, ainsi que d’autres auteurs [15,16]. Ce comportement socio-anthro-pologique semble exacerbé dans les sociétés multiculturelles accentuées comme cela a été décrit aux Antilles [8,10,13]. La multiparité était également un autre facteur de refus. En effet, les multipares considèrent l’accouchement comme une formalité compte tenue de l’expérience antérieure sans analgésie. La crainte d’un éventuel effet toxique de l’APD sur la gestante et le foetus est retrouvée par l’équipe de Daren chez les gestantes d’origine Africaine et Maghrébines dans une maternité française [11]. Ceci confirme la réticence de certaines gestantes dans la présente étude. Pour ce qui concerne les accoucheurs, il ressort un manque de formation sur la prise en charge de la douleur de l’accouchement. Il est indispensable d’introduire cette formation dans les programmes d’enseignement des différentes écoles, ainsi que l’organisation des formations continues.

 

CONCLUSION

La douleur de l’accouchement est une réalité. A Libreville, la pratique de l’APD est marginale malgré son efficacité incontestable dans la prise en charge de la douleur obstétricale. Elle est mal connue par le personnel soignant à cause du manque de formation spécifique sur cette thématique. Ceci entretien l’absence d’information des gestantes et les préjugés défavorables sur cette technique d’analgésie. L’amélioration de cette situation passe par la formation des obstétriciens, l’éducation des gestantes lors des CPN et la systématisation de la CPAP au 3ème trimestre de gestation.

 

CONTRIBUTION DES AUTEURS

Le Dr Sima Ole a conçu le protocole et assuré la rédaction de cet article. Les docteurs Obame Richard et Bang Ntamack ont lu et corriger ce travail. Le docteur Bibang fabien a participé à la collecte des données et les professeurs Mayi Tsonga, Nzoghe Nguema et Meye ont supervisé l’ensemble de ce travail. Tous les auteurs ont approuvé la dernière version de ce manuscrit.

 

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