DESHYDRATATION SUB-CLINIQUE DANS UNE POPULATION D’ELEVES AGES DE 8 A 11 ANS A YAOUNDE

Sap Ngo Um SA*1,2, Minlend W3, Mekone I4, Chelo D1,2, Mbassi Awa H1,2, Koki PO1,2

1 Faculté de médecine et des sciences biomédicales Université de Yaounde I
2 Centre Mère Enfant de la Fondation Chantal Biya Yaoundé
3 Centre des urgences de Yaoundé
4 Hôpital général de Yaoundé

*auteur correspondant : suzysap@gmail.com

Résumé

Introduction : La déshydratation sub-clinique se définit par une perte de 1% à 3% du poids corporel en eau. Elle touche un à deux tiers des élèves en Europe. Peu de données sont disponibles dans notre contexte (climat tropical), justifiant le présent travail.
Objectif : Evaluer l’état d’hydratation d’enfants scolarisés au cours de la saison sèche à Yaoundé.
Patients et Méthodes : Nous avons mené une étude transversale en février 2017, sur une population d’enfants âgés de 7 à 11 ans. L’état d’hydratation était évalué en début et fin de journée par bioimpédancemétrie et analyse d’urine. Par ailleurs les données sur les habitudes d’hydratation ont été recueillies grâce à un questionnaire.
Résultats : Nous avons inclus 167 enfants dont 55,1% de filles. Les enfants déclaraient des 86,2% des cas boire de l’eau mais de manière spontanée dans 67,7% de cas. La consommation moyenne d’eau par les enfants au cours de 8 heures passées à l’école était de 527 ± 301 ml. A la bioimpédancemétrie, la masse hydrique était faible chez 52,3% d’élèves. La densité urinaire quant à elle était élevée chez 76% des élèves à l’arrivée à l’école et cette proportion atteignait 81,4% en fin de journée.
Conclusion : La consommation d’eau semble faible dans notre population. Plus de la moitié de notre population d’étude est en déshydratation sub-clinique à l’arrivée à l’école. Cette proportion varie selon la méthode utilisée.

Mots clés : Déshydratation sub-clinique ; enfants ; saison sèche

Summary

Introduction: Sub-clinical dehydration is defined as a loss of 1% to 3% of body weight in water. It affects one to two thirds of pupils in Europe. Few data are available in our context (tropical climate), justifying the present work.
Objective: To assess the state of hydration of children attending school during the dry season in Yaoundé.
Patients and Methods: We conducted a cross-sectional study in February 2017, on a population of children aged 7 to 11 years old. The state of hydration was assessed at the start and end of the day by bioimpedancemetry and urinalysis. In addition, data on hydration habits were collected using a questionnaire.
Results: We included 167 children, 55.1% of whom were girls. Children reported 86.2% of cases drinking water but spontaneously in 67.7% of cases. The average water consumption by children during the 8 hours spent at school was 527 ± 301 ml. In bioimpedancemetry, the water mass was low in 52.3% of students. Urine density was high in 76% of students at school and this proportion reached 81.4% at the end of the day.
Conclusion: Water consumption seems low in our population. More than half of our study population is in subclinical dehydration upon arrival at school. This proportion varies according to the method used.

Keywords: Sub-clinical dehydration; children; dry season

 

Introduction

La déshydratation sub-clinique se définit par une perte de 1 – 3% du poids corporel en eau[1-3]. Elle touche principalement les enfants et les personnes âgées [2,3]. En 2012 France, Bonnet et al ont trouvé qu’un tiers des élèves étaient déshydratés avec des osmolalités urinaires comprises entre 800 mOsm/kg et 1000 mOsm/kg[4], tandis que Assael et al en Italie la retrouvaient chez deux tiers de sa population d’étude. [3]. La déshydratation subclinique peut entrainer une baisse des performances physiques et des fonctions cognitives[1,2,5]. Les données disponibles sur le sujet ont été obtenues de pays au climat tempéré. Peu de donnés sont disponibles dans notre contexte (climat tropical), justifiant le présent travail. Nos objectifs étaient d’évaluer l’état d’hydratation d’enfants scolarisés au cours de la saison sèche en pays tropical.

 

Patients et méthodes

Nous avons réalisé une étude transversale en février 2017, en pleine saison sèche au cours de laquelle la température ambiante variait de 28 à 34°C. Notre population d’étude était un groupe d’enfants âgés de 7 à 11 ans, issus de 3 établissements scolaires de la ville de Yaounde. Nous avons exclu les enfants ayant une drépanocytose (l’hyperhydratation fait partie de leur prise en charge quotidienne) une pathologie rénale ou endocrinienne déclarée (pouvant modifier la densité urinaire), ceux ayant une diarrhée ou des vomissements ainsi que les enfants atteints d’une maladie mentale pouvant influencer le comportement d’hydratation. Notre échantillon a été calculé par le logiciel Statcalc de Epi-info 7.0 (Center for Disease Control, Atlanta, USA). Pour puissance P de 80%, un intervalle de confiance de 95%, une prévalence estimée de 20%[4] la taille minimale a été évaluée à 154 élèves. La taille des élèves était prise debout à l’aide d’une toise de type Leicester TanitaR avec une précision de 0,1 cm. Les paramètres poids avec une précision de 0,1 kg, masse hydrique, et indice de masse corporelle (IMC) ont été obtenus par bio-impédancemètrie après introduction des paramètres propres à chaque élève (taille en centimètre, sexe et âge, le poids de l’uniforme de classe (échantillon préalablement pesé) étant déduit de la pesée lors de l’examen). La bioimpédancemétrie était reprise pour chaque enfant à la fin de la journée des classes. La densité urinaire a été mesurée à l’aide des bandelettes urinaires (Multistix* 10). Nous avons recueilli un échantillon minimal d’urine de 10 ml, 30 min à 60 min après le début des cours, et 1h à 1h30 min avant la fin de la journée des cours. La mesure colorimétrique était faite par l’immersion de la bandelette dans l’urine pendant 60 secondes puis lecture du résultat. Les élèves qui ont été considérés comme en déshydratation subclinique, sont ceux des élèves qui avaient une densité urinaire ≥ 1,020 selon l’étude de Trinies et al en Zambie. [6]. Les enfants remplissaient un questionnaire sur leurs habitudes d’hydratation à domicile et à l’école. Sur le plan opérationnel, la déshydratation subclinique concernait les élèves qui avaient une densité urinaire ≥ 1,020 [6,7] ou masse hydrique < 60% du poids corporel en l’absence de pertes évidentes (gastro intestinales).
Les données ont été analysées extraites vers le logiciel STATA 10.0. (Graph Prism, Graphpad Software, inc., San Diego, CA). Les variables quantitatives ont été exprimées en moyenne plus écart-type ou médiane avec écart interquartile. Les variables qualitatives ont été exprimées en effectif et fréquence. La comparaison avant et après des moyennes était faite à l’aide du test de Student. Le seuil de significativité quant à lui, était fixé 5%.
Nous avons obtenu une clairance éthique au Comité d’éthique de la Faculté de Médecine et des Sciences Biomédicales de l’Université de Yaoundé I. Nous avons obtenu les autorisations administratives du Ministère de l’éducation de base, de l’inspection médico-scolaire du même ministère et des chefs des établissements primaires dans lesquelles s’est déroulée la présente étude. Nous avons inclus les élèves pour lesquels les parents ont signé un consentement éclairé. Les informations sur la procédure ont été expliquées aux parents (par voie de courrier) et aux enfants lors des visites à l’école. Les différentes données collectées étaient confidentielles.

 

Résultats

Nous avons envoyé un courrier aux parents de 658 élèves. Nous avons reçu un consentement éclairé de 233 parents. Nous avons exclu 66 élèves dont 45 pour âge non correspondant, 16 présentaient des pathologies déclarées (10 avec syndrome pseudo grippal, 5 drépanocytaires, 1 avait eu une gastroentérite la veille), et 5 enfants ont choisi de ne pas participer. Le nombre d’élèves inclus dans notre étude était de 167 élèves (figure 1).

Habitudes d’hydratation de la population d’étude
L’âge moyen de notre population était de 9,59 ± 1,04 an et les filles représentaient 55,1% (n=92) de cette population. Soit un sexe ratio de 0,8. Les enfants déclaraient consommer principalement de l’eau dans 86,2% (n=144) des cas mais aussi des sodas (n=80, 47,9%) et des jus de fruits (76, 45,5%) à domicile. Ils se rappelaient boire environ 4 fois par jour à domicile (43,7%, n=73), estimant leur consommant d’eau à environ 1 litre par jour (42,5%, n=71). Cette consommation était spontanée dans 67,7% de cas (n=113). Près de la moitié (49,7% n=83) d’entre eux allaient à l’école sans avoir bu un verre d’eau et 26,9% (n= 45) sans avoir pris de petit déjeuner. Dans notre population d’étude, 58% (n= 97) avaient dans leur cartable une bouteille d’eau (tableau I).

Figure 1 : Variation de la masse hydrique au cours de la journée

Tableau I : Habitudes alimentaires et hydratation

Quinze pour cent d’enfants déclaraient boire de l’eau une seule fois dans la journée (tableau II). La consommation moyenne au cours des 8 heures passées à l’école était de 527±301 mL (range 116-1500 ml). Le poids moyen de notre population d’étude était de 35,7±9,1kg et la taille moyenne était de 147,7±9,4 cm avec 5,5% de patients en surpoids. La masse hydrique médiane était de 59,8% (tableauIII).

 

Tableau II : Habitudes d’hydratation à domicile déclarées

 

Le profil d’hydratation des élèves
En début de journée 52,3% (n=87) des élèves présentaient à la bioimpédancemetrie une masse hydrique < 60% (54,6% des garçons et 50% des filles). Cette proportion diminuait en fin de journée de classe à 45% soit 46,6% (n=35) chez les garçons et 38% (n= 35) chez les filles. La densité urinaire, elle était supérieure à 1,020 chez 76% de notre population d’étude (78,7% des garçons et 74% chez les filles) en matinée. Cette proportion augmentait à 81,4% de la population (82,4% des garçons et 80,4% des filles) en fin de journée (figures 2 et 3).

Figure 2 : Variation de la densité urinaire au cours de la journée

 

Tableau III : Paramètres anthropométriques et masse hydrique

 

Discussion

Nous nous sommes proposés dans le présent travail de décrire la consommation d’eau des enfants de 7 à 11 ans à domicile, de déterminer leur profil d’hydratation au cours d’une journée de classe en saison sèche.

Limites de l’étude
La taille de notre population d’étude ne permet pas une extrapolation à la population pédiatrique de la ville du fait du faible retour des fiches de consentement éclairé par les parents. Les informations recueillies basées sur la mémoire peuvent présenter un biais. Néanmoins cette étude peut être considérée comme pilote sur ce sujet dans notre milieu. Il est possible que la fiche d’information adressée aux parents ait pu influencer leur comportement vis-à-vis des enfants (en les obligeant à boire plus). Néanmoins même en cas de sous- évaluation (biais) nos résultats donnent une bonne orientation sur la prévalence de la déshydratation sub clinique dans notre milieu.

Paramètres anthropométriques et démographiques de la population d’étude.
Notre population d’étude était en majorité constituée de filles. Ceci est similaire aux données de l’enquête de démographie et de santé (EDS) 2011 au Cameroun qui révèlent une prédominance des filles dans cette tranche d’âge dans la population urbaine [8]. L’âge moyen de notre population d’étude (9,6 ans) se rapprochait de celui des études de Stookey at al [9], Assael et al [3], Bonnet et al [4] et Michel et al [10]. Les paramètres anthropométriques de notre population étaient également comparables à celles des auteurs sus cités.

Les habitudes d’hydratation des élèves à domicile
A domicile, les parents déclaraient que les enfants buvaient environ 4 fois par jour avec une consommation moyenne approximative d’1 litre par jour pour 42 % d’entre eux. Mais une proportion non négligeable ne s’hydratait pas de manière adéquate (moins de 2 verres par jour). Ce qui pourrait expliquer la proportion importante d’enfant arrivant à l’école en déshydratation sub-clinique. A côté de cela, la consommation des sodas était importante chez les enfants (47,9%) ce qui peut entraver la consommation d’eau et en plus d’être un facteur de risque de l’obésité de l’enfant. Chez 32,4% de nos élèves, le fait de consommer de l’eau à la maison leur était imposé par leurs parents.
Les élèves ne prenant pas de petit-déjeuner avant le départ pour l’école représentaient 26,9% de notre échantillon il est largement supérieur à celui de Assael et al en Italie en 2012 qui retrouvaient juste 16,3% des élèves ne prenant pas de petit déjeuner[3].
Ceci peut contribuer à la déshydratation sachant que les aliments apportent 20% d’eau dans notre organisme.

Profil d’hydratation des élèves au cours de la journée des cours
Dans notre étude 76% des élèves étaient en déshydratation sub-clinique en début de journée. Ce résultat est supérieur à celui obtenu par Bonnet et al en 2012 et qui retrouvaient sensiblement 33% des élèves de leur population déshydratés[4] mais comparable à celui de Michels et al qui retrouvaient 76% de déshydratation subclinique [10], et Assael et al 67,2% [3]. Fadda et al retrouvait 84% en Italie mais ces disparités peuvent être en rapport avec les différences méthodologiques [11]. La proportion de garçons (78,7% contre 74%) en déshydratation subclinique était plus importante dans notre population (bien que les filles soient plus nombreuses). Ceci peut s’expliquer par le fait que la dépense énergétique est plus importante chez les garçons que chez les filles, augmentant chez ceux-ci de ce fait les pertes liquidiennes [12]. En se basant sur la densité urinaire, on notait une tendance à l’augmentation de pourcentages d’enfants en déshydratation (de 76% à 81,2%) au cours de la journée tout comme chez Trinies et al en Zambie (de 42% à 67%)[6]. Mais en tenant compte de la composition corporelle, les proportions d’enfants en déshydratation sub-clinique est plus faible (52,3%) et a tendance encore à diminuer en fin de journée ce qui se rapproche des résultats de Michel et al en 2015 où l’on note une tendance à la baisse (de 76% à 54%) [10]. Ceci peut traduire un bilan hydrique (entrée-sortie) négatif et une bonne adaptation rénale. Les enfants dans notre étude buvaient en moyenne 510 ml au cours des 8 heures passées à l’école en plus des différents repas.
L’augmentation malgré cet apport de la proportion d’enfants avec une densité urinaire > 1,020 suggère néanmoins que les apports hydriques des enfants demeurent insuffisants. La contradiction entre les résultats de bioimpédancemétrie et densité urinaire soulèvent également la question de la méthode d’évaluation [12] la plus précise de l’état d’hydratation. De plus les implications d’une augmentation intentionnelle des apports dans ce contexte seraient intéressantes à étudier. Quel que soit la méthode d’évaluation utilisée, la proportion d’enfants présentant un déficit hydrique est de manière surprenante proche de celle retrouvée dans les pays tempérés. L’étude ayant été faite en grande saison sèche. Ceci suggère la possibilité de méthodes d’adaptation particulière (rénale et cutanée) [13,14] présentes chez ces enfants malgré une consommation d’eau insuffisante. Néanmoins
l’impact sur les fonctions cognitives de ces enfants reste à évaluer dans notre milieu [6, 15-17].

 

Conclusion

La déshydratation sub-clinique touche plus de la moitié des enfants de notre population d’études. Cette proportion varie selon la méthode d’évaluation et touche 8 enfants sur 10 en se basant sur la densité urinaire. La consommation d’eau est faible dans notre population d’étude et ces résultats soulèvent la question de l’impact de ce type déshydratation sur les fonctions cognitives.

Conflit d’intérêt: les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêt

 

Références

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2. Tomporowski PD, Beasman K, Ganio MS, et al.Effects of dehydration and fluid ingestion on cognition. Int J Sports Med. 2007;28(10):891–6.
3. Assael BM, Cipolli M, Meneghelli I, et al. Italian children go to school with a hydration deficit. J Nutr Disord Ther. 2012;2(3):6.
4. Bonnet F, Lepicard EM, Cathrin L, et al. French children start their school day with a hydration deficit. Ann Nutr Metab. 2012;60(4):257–63.
5.Bresson J-L, Goudable J. Hydratation de l’enfant et comportement dipsique. Cah Nutr Diététique. 2013;48(1):41–52.
6. Trinies V, Chard AN, Mateo T, et al. Effects of Water Provision and Hydration on Cognitive Function among Primary-School Pupils in Zambia: A Randomized Trial. PLoS One. 2016Mar 7;11(3):e0150071. doi:10.1371/journal.pone.0150071. eCollection 2016.
7. Oppliger RA, Magnes SA, Popowski LA, et al. Accuracy of urine specific gravity and osmolality as indicators of hydration status. Int J Sport Nutr Exerc Metab. juin 2005;15(3):236-51.
8. Institut National de Statistique (INS) et ICF Macro.Enquête Démographique et de Santé et à Indicateurs multiples du Cameroun EDS-MICS: Rapport préliminaire. INS et ICF Macro. 2011.
9. Stookey JD, Brass B, Holliday A, et al. What is the cell hydration status of healthy children in the USA? Preliminary data on urine osmolality and water intake. Public Health Nutr 2012;15(11):2148–56
10. Michels N, Van den Bussche K, Walle JV, et al. Belgian primary school children’s hydration status at school and its personal determinants. Eur J Nutr. 2015;1–13.
11. Fadda R, Rapinett G, Grathwohl D, et al. Effects of drinking supplementary water at school on cognitive performance in children. Appetite. 2012;59(3):730–37.
12. Cheuvront SN, Ely BR, Kenefick RW, et al. Biological variation and diagnostic accuracy of dehydration assessment markers. Am J Clin Nutr. 2010;92(3):565–73.
13. Constant F. Hydratation de l’enfant. Médecine Nutr. 2013;49(1):44–9.
14. McKinley MJ, Johnson AK. The Physiological Regulation of Thirst and Fluid Intake. Physiology. 1 févr 2004;19(1):1-6.
15. Benton D, Burgess N. The effect of the consumption of water on the memory and attention of children. Appetite. 2009;53(1):143–6.
16. Edmonds CJ, Jeffes B. Does having a drink help you think? 6–7-Year-old children show improvements in cognitive performance from baseline to test after having a drink of water. Appetite. 2009;53(3):469–72.
17. Grandjean AC, Grandjean NR: Dehydration and cognitive performance. J Am Coll Nutr 2007;26:S549–S554, 2007.