Nze Obiang PC1, Nzoghe Nguema P2, NGOMAS JF3, Obame R2, Essola L3, Sima Zue A3
1. Département d’Anesthésie-Réanimation-Urgence, CHU Mère et Enfant FJE, Libreville, Gabon.
2. Département d’Anesthésie-Réanimation-Urgences, CHU d’Owendo, Libreville, Gabon.
3. Département d’Anesthésie-Réanimation-Urgences, CHU de Libreville, Libreville, Gabon.
Correspondance : Nzé Obiang Pascal : nzepascal@gmail.com
Résumé
Introduction: Les particularités anatomo-physiologiques et les profils pharmacologiques des drogues anesthésiques chez l’enfant font la spécificité de l’anesthésie pédiatrique en termes de sécurité périopératoire. Sa pratique est délicate dans des structures hospitalières non spécialisées. Notre étude analyse l’anesthésie pédiatrique au sein d’une structure dédiée à la chirurgie pour adulte.
Patients et méthode : Etude rétrospective et descriptive de mai 2014 à mars 2017 menée au Centre Hospitalier Régional de l’Estuaire-Mélen. Les dossiers des patients ayant bénéficié d’une anesthésie pédiatrique ont été analysés du point de vue socio-démographique, clinique, anesthésiologique et évolutif.
Résultats : Deux cent cinq patients ont été inclus. La chirurgie viscérale représentait 85,4% et les urgences chirurgicales 11,7%. L’âge moyen était de 6,5 ans. Le sex-ratio était de 3,5. Les patients étaient classés ASAI dans 98%. Un médecin anesthésiste était présent pour tout patient de moins de 12 ans (76,1%). L’oxymètre de pouls et l’électrocardioscope constituaient l’essentiel du monitorage peropératoire. L’anesthésie était générale dans 91,7% et locorégionale dans 8,3% des cas. Les indications chirurgicales concernaient la chirurgie périphérique. Un laryngospasme et deux retards de réveil ont été relevés.
Conclusion : Dans les hôpitaux non spécialisés, la médicalisation de l’anesthésie pédiatrique permet de garantir une sécurité peropératoire dans le cadre de la chirurgie viscérale périphérique, avec un monitorage limité.
Mots clés : Anesthésie pédiatrique ; Sécurité anesthésique ; Hôpital non spécialisé
Abstract
Introduction : Anatomo-physiologic particularities and pharmacologic profiles of child anesthesic drugs make paediatric anesthesia specific in terms of perioperative security. Its practise is tricky in non-specialised hospitals. Our study analysed paeditric anesthesia in an hospital dedicated to adult surgery.
Patients and method : This retrospective and descriptive study was led from May 2014 to March 2017 in the Regional Hospital Center of Estuaire-Melen in Gabon. The patients who benefited from a paediatric anesthesia have their files analysed on socio-demographic, clinic, anesthesiologic and evolutive fields.
Results : Two hundred and five patients were part of the study. Visceral surgery represented 85.4% and surgical emergencies 11.7%. The average age was about 6.5 years. The sex-ratio was 3.5. The patients were classified ASAI in 98%. An anesthetist was present for all patients underr 12 years old (76,1%). The pulse oxymeter and the electrocardioscope were the essential of peroperative monitoring. General anesthesia concerned 91.7% of cases and locoregional 8.3%. Surgical indications concerned peripheric surgery. A laryngospasm and 2 late-awekening were noticed.
Conclusion : In non-specialized hospitals, paediatric anesthesia medicalization allows to guarantee a per-operative security in the field of visceral surgery peripheric with a limited monitoring.
Key words : Paediatric anesthesia ; Anesthesic security ; Non-specialized hospital
Introduction
La disparité de la pratique de l’anesthésie dans les pays en voie de développement est la conséquence d’une carence du système de santé, d’une pénurie de personnel soignant, d’agents anesthésiques et de matériel [1-4]. Les particularités anatomophysiologiques et les profils pharmacologiques des drogues anesthésiques chez l’enfant font la spécificité de l’anesthésie pédiatrique en termes de sécurité opératoire. La majorité des structures sont à vocation adulte et la morbimortalité périopératoire reste élevée chez les enfants [5], même si le risque anesthésique réel reste mal défini comparativement aux pathologies comme le VIH, le paludisme et la tuberculose [6]. La pratique de l’anesthésie pédiatrique reste délicate dans les structures hospitalières non spécialisées. Notre étude évalue la sécurité en anesthésie pédiatrique au Centre Hospitalier Régional de l’Estuaire-Mélen (CHREM), situé dans la périphérie de Libreville.
Patients et Méthode
Nous avons mené un travail rétrospectif de mai 2014 à mars 2017 au bloc chirurgical à vocation adulte du CHREM. Etaient inclus tous les dossiers des patients de 16 ans et moins ayant bénéficié d’un acte chirurgical. Le seul critère d’exclusion était la chirurgie obstétricale. Le recueil des données s’est fait à partir des fiches et registres d’anesthésie, ainsi que les dossiers chirurgicaux. Ainsi pour chaque dossier il était relevé l’âge, le sexe, l’indication chirurgicale, le caractère urgent ou programmé, la classe ASA, la technique d’anesthésie, la présence ou non d’un Médecin anesthésiste-réanimateur (MAR), le type de monitorage, le type d’induction, la gestion des voies aériennes, les principaux médicaments anesthésiques, la durée de l’intervention et les incidents per et postopératoires immédiats. L’analyse statistique s’est faite sous forme de pourcentages et de moyennes.
Résultats
Durant la période d’étude 205 patients ont été inclus. L’âge moyen était de 6ans et 6 mois [3 semaines – 16 ans], avec un sex-ratio à 3,5 (159 garçons pour 46 filles). Les types de chirurgie étaient viscérale (175 ; 85,7%), gynécologique (15 ; 7,3%), ORL (8 ; 3,9%) et orthopédique (7 ; 3,4%) (Tableau I).
Tableau I : répartition des types de chirurgie impliqués
La chirurgie était réalisée en urgence dans 24 cas, dont 11 cas d’appendicite (45,8%). L’indication opératoire est programmée dans 88,3% des cas (181).Deux-centun patients étaient classés ASA I (98%), 3 étaient ASA II et un seul classé ASA III.
Un MAR était présent sur 186 cas (90,7%), dont 156 (76,1%) lors de toutes les chirurgies de patients de moins de 12 ans. La technique d’anesthésie générale (AG) concernait 188 cas (91,7%), associée à une anesthésie locorégionale (ALR) dans 5,3% (10 cas). Une ALR exclusive a été réalisée chez 17 patients (8,3%). Le monitorage périopératoire a porté sur l’oxymètre de pouls (100%), l’électrocardiogramme (60%) et la pression non invasive (33%). Toutes les inductions anesthésiques étaient intraveineuses. Pour le contrôle des voies aériennes en AG, une intubation orotrachéale (IOT) a été réalisée chez 90 patients (47,9%), un masque laryngé dans 52,1% (98 cas) avant la mise systématique sous ventilation mécanique. Le Propofol était l’agent anesthésique dans 187 cas (99,5%), en association à la Kétamine dans 11,7% (22 cas). Cette dernière a été utilisée seule chez un seul patient. Le Fentanyl et l’Isoflurane étaient respectivement le morphinique et l’agent anesthésique d’entretien chez tous patients sous AG (tableau II).
Tableau II : répartition des drogues anesthésiques en anesthésie générale
Le recours à la Bupivacaïne pour une ALR concernait 15 patients (88,2%). La durée moyenne des chirurgies étaient de 44 minutes avec des extrêmes de 10 minutes et 200 minutes. Trois incidents (1,5%) ont été répertoriés, soient deux cas de retard de réveil et un laryngospasme. Aucun décès n’a été enregistré.
Discussion
L’anesthésie pédiatrique est une des entités de l’anesthésie qui exige particulièrement un équipement spécifique, un personnel bien formé et expérimenté [3,7-10]. D’autres facteurs tels que le manque de drogues appropriées, le manque de Médecins anesthésistes et la fréquence des urgences chirurgicales concourent à l’élévation de la morbimortalité périopératoire [4,6,11]. Des travaux antérieurs sur la pratique de l’anesthésie pédiatrique au Gabon ont porté sur des structures hospitalières de grande capacité à Libreville [12,13].
L’âge moyen de nos patients était plus bas que celui d’Essola à Libreville [13], nous avons retrouvé la même prédominance masculine que plusieurs travaux du continent [13-15]. La sécurité anesthésique repose d’abord sur une bonne évaluation préopératoire, surtout sur des terrains à risque [16]. Nous avons noté
une faible proportion d e c lasse A SA I I e t p lus par rapport à certaines études [12-15,17]. La chirurgie réglée est en avant dans toutes les séries, avec une prédominance de la chirurgie viscérale. Par contre nous avons enregistré moins d’indications chirurgicales urgentes [13,18].
L’oxymètre de pouls est le monitorage minimum standard recommandé, comme ce fut le cas avec nos patients [19]. Depuis plusieurs années, avec les travaux de Sima [12], l’anesthésie générale reste la technique la plus pratiquée [5,13,20]. Nous retrouvons une grande proportion d’inductions inhalatoires dans plusieurs séries [13,18,20], par contre Brouh [17] a comme nous aussi une prédominance d’inductions intraveineuses. Le masque laryngé, comme alternative à l’intubation orotrachéale, est peu utilisée dans plusieurs études [13,18,20]. L’anesthésie locorégionale tant axiale que périphérique a plusieurs indications en anesthésie pédiatrique. Ses bénéfices en analgésie périopératoire ont été démontrés dans plusieurs travaux [21-24]. Nous avons une faible pratique de cette technique anesthésique [5,13,20], même si certaines études commencent à sortir des pourcentages plus significatifs [18, 21-23]. Le temps opératoire moyen de notre étude est superposable aux autres [12,13]. Le petit âge (< 1 an), la chirurgie en urgence et l’absence d’un médecin anesthésiste réanimateur (MAR) sont des facteurs clairement identifiés de surmortalité en anesthésie pédiatrique
[5,13,15-17,20,26-28]. Ceci peut expliquer le pronostic favorable chez tous nos patients, avec la présence obligatoire d’un MAR pour tout patient de moins de douze ans et la prédominance d’une chirurgie viscérale périphérique et réglée.
Conclusion
Une organisation optimale, intégrant la médicalisation de l’anesthésie pédiatrique, permet de garantir une sécurité périopératoire, avec un monitorage limité, dans le cadre de la chirurgie réglée et certaines chirurgies urgentes dans un hôpital régional.
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