INTOXICATION AU PARACETAMOL CHEZ UN ENFANT DE 5 ANS AU CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE PEDIATRIQUE DE BANGUI: UN CAS CLINIQUE ET REVUE DE LA LITTERATURE

Gody J-C1,2, Houndjahoue GF1,3, Ningatoloum Nazita S1, Gaspiet-Sonny VI1
1.Centre Hospitalier Universitaire Pédiatrique de Bangui (CHUPB), RCA
2.Faculté des Sciences de la Santé (FACSS), Université de Bangui, RCA
3.Médecins avec l’Afrique CUAMM International NGO, Padova, Italy

Correspondant: Ghislain Franck Houndjahoue. Tel:0023675681611; Email: fhoundja@yahoo.fr

 

Résumé

L’intoxication aigue au paracétamol est une cause fréquente d’intoxication médicamenteuse aussi bien dans les pays développés que sous-développés. Elle est responsable d’atteinte hépatique grave. L’efficacité au Nacetylcysteine (NAC), antidote du paracétamol, dépend habituellement du délai entre l’ingestion et l’heure de prise en charge. Dans l’observation suivante, nous rapportons le cas d’un enfant de 5 ans qui a présenté une encéphalopathie hépatique post intoxication aigue au paracétamol et qui a évolué favorablement malgré l’administration tardive du NAC.

Mots clés: Paracétamol, toxicité, N-acetylcysteine, enfant.

 

Abstract

Acute paracetamol poisoning is a common cause of drug poisoning in both developed and developing countries. It leads to severe liver injury. N-acetylcysteine’s effectiveness (NAC), an antidote to paracetamol, usually depends on the time between ingestion and management. In the following case, we report a 5-year-old child who presented with acute hepatic encephalopathy after acute paracetamol intoxication and who progressed favorably despite NAC’s delayed administration.

Keywords: Paracetamol, toxicity, N-acetylcysteine, child

 

Introduction

Le paracétamol est l’un des médicaments le plus prescrit et le plus accessible au monde pour ses propriétés analgésiques et antipyrétiques [1]. C’est une molécule très bien tolérée, qui entraîne peu d’effets indésirables lorsqu’elle est utilisée à faible dose thérapeutique. Chez l’enfant, La dose quotidienne est de 60 mg/kg/jour, à répartir en 4 prises [2]. Ses contre-indications sont l’insuffisance hépatocellulaire sévère ou une hypersensibilité [3]. Le paracétamol est compté parmi les causes des intoxications médicamenteuses les plus fréquentes [4,5]. Nous rapportons ici le cas d’un enfant âgé de 5 ans admis dans l’unité de soins intensifs pour encéphalopathie hépatique dont l’origine a été imputée au paracétamol et discutons l’intérêt d’instaurer, malgré tout, tardivement le traitement au N-acétylcystéine.

Observation médicale

Il s’agissait de l’enfant K. O. âgé de 5 ans de sexe masculin et pesant 15 kg. Il a été admis le 5 Janvier 2021 pour une fièvre associée à une asthénie physique. La symptomatologie a remonté à une semaine plus tôt, marquée par l’installation d’une fièvre associée à des épisodes de vomissement alimentaire. Il a consulté dans un centre de santé où il a reçu de l’arthéméter injectable relayé par l’association artéméther luméfantrine sans succès. Il a été adressé aux urgences du Centre Hospitalo-Universitaire Pédiatrique de Bangui où les examens clinique et paraclinique ont permis d’évoquer le diagnostic de paludisme grave forme hypoglycémique devant une goutte épaisse/densité parasitaire montrant 540 parasites/mm3 et une glycémie à 32 mg/dl. L’hémogramme était normal avec un taux d’hémoglobine à 14,1 g/dl, des globules blancs à 6400/mm3 et des plaquettes à 315000/mm3. L’ionogramme sanguin était normal. Aucune notion de prise de traitement traditionnel n’a été notée. Il a été mis sous artésunate et du sérum glucosé 10%, puis transféré en hospitalisation. Il a un bon développement psychomoteur et un bon état nutritionnel (rapport poids-taille entre -1 et -2 z score). L’évolution à J1 d’hospitalisation était marquée par un trouble de comportement à type d’agitation associé à un ictère conjonctival et des urines foncées; ce qui a nécessité son transfert aux soins intensifs. L’examen clinique a estimé le score de Glasgow à 12/15 et retrouvé un état d’agitation, un ictère conjonctival et une hépatomégalie avec une flèche hépatique à 8 cm. Par ailleurs, des épisodes d’hypoglycémie ont été notés; faisant penser à une hypoglycémie réfractaire pour laquelle uneexploration hépatique a été demandée. Celle-ci amontré une cytolyse hépatique sévère révélée par un taux d’alanine amino transférase (ALAT) à 3510 UI/L, aspartate aminotransferase (ASAT) à 8420 UI/L, un taux de prothrombine à 17% et l’INR à 4,3. La créatininémie était normale à 7,7 mg/l. La recherche des marqueurs des virus des hépatites B et C était négative ainsi que la sérologie du VIH. L’interrogatoire approfondi a révélé une administration du paracétamol 500 mg toutes les 3 à 5 heures pendant une semaine soit en moyenne 160 mg/kg/jour. Le diagnostic d’insuffisance hépatocellulaire aigue post intoxication aigue au paracétamol, compliquée d’encéphalopathie grade 1 a été retenu. Le protocole d’insuffisance hépatocellulaire fait de la vitamine K1 3 mg en IV/24h, lactulose 5 ml toutes les 8heures, oméprazole 20 mg toutes les 12heures, et ceftriaxone 80 mg/kg/jour, a été instauré. Il a été mis sous protocole de Nacetylcysteine (NAC) par voie orale 24 heures après le début des manifestations neurologiques, à raison d’une dose de charge 140 mg/kg puis 70 mg/kg/4 heures pendant 72 heures. L’évolution à J1 de prise de N-acétylcysteine est marquée par l’arrêt de l’agitation, la reprise progressive de la conscience, mais une persistance de l’asthénie physique, de l’ictère conjonctival et de l’hépatomégalie. Sur le plan biologique, le contrôle à H72 a montré une amélioration du taux de prothrombine à 57%, une baisse de l’INR à 1,45, une amélioration du taux des enzymes hépatiques (ALAT : 944 U/L et ASAT: 436 U/L) (figure 1) et un taux de bilirubine totale à 99,2 μmol/l à prédominance conjuguée (79,6 μmol/l).
L’évolution clinique favorable a conduit à la sortie du patient le 13 Janvier 2021. Les consultations de suivi, ont permis de constater deux jours plus tard, d’une part sur le plan clinique la régression progressive de l’ictère scléral et de l’hépatomégalie; d’autre part sur le plan biologique une normalisation du taux de prothrombine à 100% et de l’INR à 0,95, une fonction rénale toujours normale, une diminution des ALAT à 196 UI/L, des ASAT à 75 UI/L, de la bilirubine totale à 44,6μmol/l avec la fraction conjuguée à 33,8 μmol /l. La figure 1 montre lacinétique des transaminases chez l’enfant.

 

Figure 1: Cinétique des transaminases au cours du traitement au NAC

 

Discussion

Lorsque le paracétamol est administré à dose adéquate en fonction du poids de l’enfant, le patient ne court aucun risque. Cependant l’intoxication pourrait apparaitre après l’ingestion d’une dose massive unique ou une ingestion répétée de doses dont l’effet cumulatif pourrait excéder la dose recommandée [6,7]. Une ingestion de plus de 150 mg/kg à 200 mg/kg peut entraîner une hépato toxicité grave, une insuffisance hépatique, une insuffisance rénale et la mort [8]. Le paracétamol peut également entrainer une hépatotoxicité grave chez les enfants à des doses faibles à 125-150 mg/kg/jour lorsqu’il est pris pendant 2 à 4 jours [9].
Notre patient a été exposé à 160 mg/kg/jour pendant une semaine. La fonction rénale a toutefois été épargnée. Une variabilité d’expression clinique de la toxicité au paracétamol pourrait en être l’explication [1]. A dose thérapeutique, 80-90% du paracétamol est métabolisé dans le foie et excrété par le rein sous forme glucuroconjuguée ou sulfoconjuguée [10]. Une petite partie (5-9%) est métabolisée par le cytochrome p450 pour former un métabolite très
toxique le N-acétyl-p-benzoquinone imine (NAPQI). Ce dernier est détoxifié grâce à la conjugaison avec le glutathion et excrétée par la voie biliaire. En cas d’ingestion massive, la production du métabolite NAPQI est excessive; ce qui engendre une réaction intense avec le glutathion hépatique et entraine sa déplétion. Le métabolite NAPQI non lié au glutathion va se fixer au niveau des protéines de surface hépatocytaires et mitochondriales à l’origine du stress oxydatif et de la dysfonction mitochondriale responsable de la nécrose des hépatocytes [10-12]. N-acétylcystéine agit ainsi comme un antioxydant, principalement en régénérant le glutathion pour faciliter la détoxification de NAPQI. NAC aussi exerce un effet protectif à la phase du stress oxydatif. De plus, le surplus de NAC dans le foie pourrait être une source d’énergie pour le cycle de Krebs, maintenant ainsi le niveau de production de l’ATP hépatique et améliorer la fonction mitochondriale [12]. La principale limite de NAC est la baisse de son efficacité lorsqu’il est administré plus de 8 heures après l’intoxication [12,13]. Notre patient a reçu sa première dose de NAC après 6 jours consécutifs de surdosage et 24 heures après les manifestations neurologiques. Il a toutefois présenté une évolution clinique et biologique favorable. L’intoxication aiguë au paracétamol est classée en quatre stades cliniques (tableau I) [10].

 

Tableau I: Les quatre stades cliniques de l’intoxication aiguë au paracétamol [10]

 

Notre patient a été admis au stade II marqué par le syndrome de cytolyse et de cholestase [4,10]. Un long délai de prise en charge est un facteur aggravant. Cependant, certains auteurs recommandent que tout patient suspect d’intoxication au paracétamol et présentant une insuffisance hépatocellulaire aiguë doit recevoir de la NAC, quel que soit le délai entre l’hospitalisation et l’ingestion [14]. Ce qui a été fait dans notre cas. Le délai médianretrouvé dans la littérature est de 53h (extrême: 36-80h). Au-delà de 24 heures, la NAC ne permet plus de prévenir l’atteinte hépatique mais limite plutôt la gravité de l’intoxication. Cette observation illustre l’intérêt d’un traitement même tardif par la NAC, au cours d’une insuffisance hépatique aiguë consécutive à une intoxication au paracétamol [14]. Le stade clinique de l’intoxication (stade II) à l’admission et le bon état nutritionnel de l’enfant pourraient être considérés comme des facteurs favorisants dans l’évolution car les enfants présentant une malnutrition aigüe sévère sont plus sensibles aux effets hépatotoxiques du paracétamol [6, 15]. La prise en charge des cas d’ingestions répétées des doses élevées comme c’est le cas de notre patient, exige le dosage de la concentration sérique de paracétamol et de l’ALAT. Si le taux d’ALAT est supérieur à 50UI/L et la paracétamolémie supérieure à 20 mg/l le traitement de NAC doit être initié [16]. Dans notre contexte, le plateau technique ne permettant pas de doser la paracétamolémie, les manifestations cliniques associées à l’élévation du taux d’ALAT ont été les motifs de la mise sous traitement. L’arrêt du traitement a été motivé par les critères suivants: une décroissance du taux des ALAT ou ASAT, INR < 2,0, et uneamélioration clinique du patient [16].

 

Conclusion

L’intoxication au paracétamol demeure un danger potentiel en pédiatrie. Les parents et l’équipe médicale doivent en prendre conscience. Les uns doivent éviter l’automédication; les autres doivent mieux communiquer avec les parents. En outre, l’équipe médicale doit s’assurer de la bonne compréhension des posologies prescrites mais aussi rechercher à l’interrogatoire devant toute atteinte hépatique, la notion d’automédication à base de paracétamol. De la précocité du diagnostic dépend le pronostic surtout dans les pays en voie de développement ou la transplantation hépatique n’est pas envisageable.

 

Références

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