Assoumou Obiang P, Bang Ntamack JA, Minkobame Zaga Minko UP, Ntsame Mezui JE, Meye JF
Département de Gynécologie Obstétrique de la faculté de Médecine de Libreville, Université des sciences de la santé (USS) ; Libreville-Gabon.
Auteur correspondant : Assoumou Obiang Pamphile, tél :077.87.84.40, E.mail : assoumobiang@yahoo.fr
Résumé
Objectif : Déterminer la fréquence, le pronostic et la morbidité des patientes opérées pour cancer du sein.
Matériel et Méthodes : Il s’agit d’une étude rétrospective, descriptive et analytique, sur une période de trois ans, allant de janvier 2013 à janvier 2017. Elle a porté sur les patientes opérées pour cancer du sein dans le service de gynécologie obstétrique et à l’Institut de Cancérologie du Centre Hospitalier Universitaire d’Angondjé (CHUA) de Libreville. Les informations recueillies ont été analysées à l’aide du logiciel R.
Résultats : Un total de 51 patientes a été colligé. La moyenne d’âge des patientes était de 50 ans avec des extrêmes de 27 et 88 ans. Le délai moyen de consultation était de 56 semaines avec des extrêmes de 3 et 288 semaines. Le délai moyen entre la consultation et la preuve histologique était de 60 semaines avec des extrêmes de 2 et 288 semaines. Au moment du diagnostic, 65,2 % des patientes étaient au stade III de la classification de l’Union Internationale Contre le Cancer et 66% avaient un carcinome canalaire infiltrant. La mastectomie totale selon Madden et le curage ganglionnaire ont été réalisés respectivement dans 78,4% et 86,3 des cas. L’envahissement ganglionnaire a été constaté dans 60% des femmes. En tout, 33,3% des patientes ont présenté des complications post-opératoires, dont 13,7% de lymphocèle.
Conclusion : la prise en charge chirurgicale des cancers du sein est dominée par la mastectomie modifiée type Madden, avec une faible morbidité post opératoire.
Mots clés : cancer- sein- traitement- chirurgie-complications.
Summary
Objective: To determine the frequency, prognosis and morbidity of patients operated on for breast cancer.
Materials and Methods: This is a retrospective, descriptive and analytical study, over a period of three years, from January 2013 to January 2017. It focused on patients operated on for breast cancer in the obstetrics and gynecology department. and the cancer institute of the Center Hospitalier Universitaire d’Angondjé (CHUA) of Libreville. The information collected was analyzed using software R.
Results: A total of 51 patients were collected. The average age of the patients was 50 years with extremes of 27 and 88 years. The average consultation time was 56 weeks with extremes of 3 and 288 weeks. The average time between consultation and diagnosis (histological evidence) was 60 weeks with extremes of 2 and 288 weeks. At the time of diagnosis, 65.2% of patients were in stage III of the International Union Against Cancer (UICC) and 66% had invasive ductal carcinoma. Madden’s total mastectomy and lymph node dissection were performed in 78.4% and 86.3 of the cases, respectively. Lymph node involvement was observed in 60% of the cases and 33.3% of the patients presented post-operative complications, including 13.7% of lymphocele.
Conclusion: the surgical management of breast cancer is dominated by the Madden-type modified mastectomy, with low post-operative morbidity.
Keywords: cancer- breast- treatment- surgery-complications.
Introduction
Le cancer du sein constitue de nos jours l’affection tumorale maligne la plus fréquemment rencontrée chez la femme dans le monde. Il touche plus d’une femme sur dix. Son incidence a augmenté de manière significative ces dix dernières années, devenant ainsi un problème majeur de santé publique [1]. Plus de 33 000 femmes sont diagnostiquées chaque année en France. Aux États Unis, 1 femme sur 8 est touchée par le cancer du sein [2]. En Côte d’Ivoire et au Cameroun, il vient en seconde position après le cancer du col [3]. Au Gabon, jusqu’en 2009, le cancer du sein représentait 11% des tumeurs malignes et constituait le deuxième cancer féminin après celui du col utérin [4]. Depuis 2012, selon les données de l’Institut de Cancérologie de Libreville (ICL), il représente entre 18 et 20% des cancers féminins, faisant de lui le premier cancer au Gabon [1]. Comme dans la plupart des pays Africains, son diagnostic est souvent fait au stade tardif [4], rendant ainsi sa prise en charge complexe. L’ouverture de l’ICL et la mise en place des campagnes de dépistage des cancers gynécologiques et mammaires ont permis la découverte de plus en plus précoce de cette affection et une meilleure planification de sa prise en charge[5]. Ainsi, les stades nécessitant un traitement chirurgical étaient orientés vers le service de gynécologie.
Depuis l’ouverture de l’ICL, nous avons voulu déterminer la fréquence, le pronostic, la morbidité et la place de la chirurgie dans le traitement des cancers du sein.
Matériel et méthodes
Notre étude a été réalisée au Centre Hospitalier Universitaire d’Angondje (CHUA), dans le service de gynécologie obstétrique, et à l’Institut de Cancérologie de Libreville. Il s’agit d’une étude rétrospective, descriptive et analytique, réalisée sur une période de 36 mois, allant de janvier 2013 à janvier 2017. La population cible était constituée des patientes suivies pour un cancer du sein dans le service de gynécologie du CHUA. Ont étés incluses dans l’étude, toutes les patientes prises en charge chirurgicalement dans le service pour traitement du cancer du sein. Les patientes qui n’avaient pas bénéficié d’un traitement chirurgical, celles qui ont été opérées ailleurs ou celles qui avaient un dossier inexploitable n’ont pas été incluses. Les dossiers des patientes reçues dans le service pour prise en charge d’un cancer du sein ont été analysés. Une fiche de recueil de données a été élaborée. Les variables étudiées étaient constituées par les données épidémiologiques (âge, statut hormonal, âge des ménarches, gestité, parité, antécédents familiaux de cancer), les circonstances de diagnostic, le type histologique, le stade clinique, la technique opératoire, les complications chirurgicales per et post opératoires. Les informations contenues dans la fiche de recueil des données ont été enregistrées dans un fichier Excel 2010 et analysées à l’aide du logiciel R. Les données ont été exprimées en pourcentage pour les variables qualitatives et en moyenne pour les variables quantitatives. Les analyses ont été effectuées avec le logiciel R v3.1.0, avec un seuil de significativité de 5%.
Résultats
Durant la période d’étude, 78 patientes ont été opérées pour cancer du sein, et 51 dossiers ont été retenus. La moyenne d’âge de nos patientes était de 50 ans avec des extrêmes de 27 et 88 ans. La répartition par tranche d’âge fait apparaitre un pic de fréquence entre 40 et 49 ans, soit un taux de 33,3%. Les patientes ayant un antécédent familial de cancer (sein, prostate, endomètre, lymphome) étaient de 12 (23,5%) dont 8 (15,7%) concernaient le sein. Le cancer du sein a été découvert par la patiente elle-même devant des signes révélateurs dans 82,3% des cas (n=42), alors que 5 (9,8%.) ont été découverts lors d’un examen médical systématique, et 4 (7,8%) lors du dépistage organisé.
Le délai moyen entre la survenue des symptômes et la consultation des patientes était de 56 semaines avec des extrêmes de 3 et 288 semaines. Par l’autopalpation, 36 (70,6%) patientes ont découvert un nodule mammaire. Au moment du diagnostic, 28 (54,9%) des tumeurs avaient une taille > 5cm et 26 (51,0%) étaient accompagnées d’adénopathies axillaires. La confirmation histologique réalisée chez 49 (96,1%) patientes était obtenue après un délai moyen de 60 semaines avec des extrêmes de 2 et 288 semaines. Ainsi 39 (79,6%) patientes avaient un carcinome canalaire infiltrant et 10 (20,4%) un carcinome lobulaire infiltrant. Comme l’indique le tableau I, 35 (68,6%) patientes étaient au stade III de la classification de l’Union Internationale Contre le Cancer (UICC) au moment du diagnostic.
Tableau I : Répartition des cancers selon la classification de l’UICC
Le délai moyen entre le diagnostic et le traitement était de 18 semaines avec des extrêmes de 2 et 288 semaines. Sur les 51 patientes de notre série, 12 (23,5%) ont bénéficié d’une chirurgie première, et 39 (76,5%) d’une chimiothérapie néo adjuvante.
Tableau II: répartition des techniques opératoires en fonction des stades de la classification UICC
Nous avons réalisé plusieurs techniques opératoires selon le stade de la pathologie. Ainsi, comme l’indique le tableau II, 40 (78,4%) patientes ont subi une mastectomie radicale et 44 (86,3%) une adénectomie axillaire. Celle-ci a ramené entre 6 et 33 ganglions. La technique du ganglion sentinelle a été pratiquée chez 2 (3,9%) patientes. L’analyse histologique des pièces opératoires note 21 (42,9%) cas d’envahissement ganglionnaire avec des marges d’exérèse saines chez 50 (98%) patientes. Aucune complication per opératoire n’a été notée. Par contre, 9 (17,6%) patientes ont présenté une nécrose cutanée dans un délai moyen de 15 semaines (3,75 mois) après la chirurgie, et 7 (13,7%) ont développé une lymphocèle dans un délai moyen de 48 semaines, soit 12 mois (tableau III).
Tableau III : Délais d’apparition des complications post opératoires.
Discussion
L’âge est un facteur de risque important du cancer du sein, c’est un facteur de mauvais pronostic s’il est inférieur à 35 ans [6]. En Europe et aux Etats Unis, le cancer du sein touche essentiellement des femmes d’âge moyen entre 50 et 70 ans [6]. L’âge moyen de nos patientes était de 50 ans avec un pic de fréquence de 40 à 50 ans. Au Gabon depuis 2009, cette donnée n’a pas évoluée. En effet, Mayi et al rapportaient déjà des résultats proches des nôtres [4]. Cette tendance est déclinée par plusieurs auteurs en Afrique [3,7].
Le cancer du sein survient ainsi chez les femmes jeunes en Afrique par rapport à l’occident [6,8]. Dans notre série, plus de la moitié (68%) de nos patientes était non ménopausée. La précocité de survenue de cette pathologie pourrait être liée à l’espérance de vie plus courte en Afrique et aux mutations génétiques [6,8]. Plus le délai de consultation est long, plus le risque métastatique est grand et la survie mauvaise [6]. Dans notre série, le délai moyen entre la survenue des symptômes et la consultation des patientes était de 56 semaines avec des extrêmes de 3 et 288 semaines. Ce délai est long et semblable à celui de plusieurs séries africaines [6-9]. Le retard de consultation des patientes atteintes de cancers du sein demeure un problème majeur dans la prise en charge de cette maladie en Afrique sub-saharienne. Il explique le stade avancé de la maladie au moment du diagnostic. Ce délai long pourrait être lié à la difficulté d’accès aux structures sanitaires, à l’insuffisance des campagnes de sensibilisations et de dépistages dans les zones rurales. Les pesanteurs socio-économiques et culturelles sont si importantes dans nos sociétés, qu’elles peuvent expliquer en grande partie les raisons de ce retard. Pour ces malades, l’hôpital ne constitue que le dernier recours thérapeutique dans l’espoir de se débarrasser de cette tumeur généralement ulcérée, surinfectée et malodorante [7]. Dans notre série, les tumeurs classées au stade III (selon l’UICC) étaient les plus fréquentes et le carcinome canalaire était le type histologique le plus rencontré. Ces données corroborent avec celles rencontrées par Nayama et Sanok [6,7]. Le nombre élevé de patientes vu au stade évolué pourrait s’expliquer par le retard du diagnostic et par la lenteur dans la prise en charge. Les consultations précoces et la promptitude dans la prise en charge des cancers du sein pourraient retarder l’évolution métastatique de cette pathologie [6,9]. En effet, dans notre étude comme dans la plupart des séries Africaines, les consultations sont tardives et les délais de prise en charge très longs, allant parfois jusqu’à 288 semaines [6-9].
La chirurgie reste un moyen principal du traitement des cancers en Afrique subsaharienne. Le pronostic ultérieur de la maladie dépend de la qualité du contrôle locorégional [10]. Au moment du diagnostic, Plus de la moitié de nos patientes étaient au stade III (65,21%), et la chirurgie radicale a prédominé comme le relève la plupart des séries Africaines [6,11,12]. Par contre, en occident, la mastectomie devient de plus en plus rare (30%) et est progressivement remplacée par la chirurgie conservatrice [12]. Le dépistage systématique par mammographie dans ces pays expliquerait sans doute cette avancée. En effet, cette pratique a augmenté la proportion des lésions de petite taille, voire infra clinique au moment du diagnostic [12]. Il semble impératif de renforcer et pérenniser les campagnes de dépistage des cancers gynécologiques et mammaires déjà initiées dans notre environnement [8] afin de réduire le retard diagnostic du cancer et d’améliorer sa prise en charge. Le curage ganglionnaire fait partie intégrante de la chirurgie des cancers du sein. Elle a pour but principal de permettre une analyse histologique des ganglions, afin d’établir un pronostic et la stratégie thérapeutique ultérieure. Outre cette valeur d’information, le curage axillaire permet de réduire le risque de récidive axillaire en pratiquant l’exérèse des ganglions métastatiques [13]. On considère comme satisfaisant un nombre de ganglions au moins égal à 10 par curage [13]. Dans notre étude, 44 (86,3%) patientes ont bénéficié d’un curage ganglionnaire qui a ramené entre 6 et 33 ganglions par curage. Nos résultats sont semblables à ceux de Dimassi et al en Tunisie qui rapportent un nombre de 4 à 34 ganglions [11]. Les ganglions retirés ont montré que 21 (67,7%) patientes avaient un envahissement ganglionnaire versus 10 (32,2%) qui avaient un curage négatif. La grande majorité de nos patientes (98%) avaient des marges d’exérèse saines, et seulement une patiente avait des marges envahies.
La patiente dont les marges étaient envahies présentait une tumeur initiale mesurant 26 cm de grand axe. Dans notre cohorte, les complications post opératoires étaient dominées par la lymphocèle (13,7%). Ces résultats corroborent avec ceux de Zongo Nayi et al [5]. Le risque de survenue de lymphocèle augmenterait avec le nombre de ganglions prélevés, le curage axillaire et l’envahissement ganglionnaire clinique ou histologique [5]. Depuis des années, et afin de diminuer la morbidité du curage axillaire classique, le concept du ganglion sentinelle a fait peu à peu son apparition [11]. L’intérêt premier de cette technique est d’éviter un curage axillaire. Elle constitue donc un moyen pour éviter la lymphocèle post opératoire, à condition que la maladie soit diagnostiquée précocement [11]. Dans notre série, seuls trois cas de ganglions sentinelles ont été observés. Cette technique n’a pas été souvent réalisée, non seulement parce que la majorité de nos malades présentaient des tumeurs évoluées au moment du diagnostic, mais aussi à cause de la difficulté de réaliser l’examen anatomopathologique extemporanée dans notre structure.
Conclusion
Le cancer du sein occupe actuellement la première place des cancers féminins au Gabon. C’est une maladie de la femme jeune, non ménopausée, découverte en majorité par la patiente elle-même lors de l’autopalpation des seins. Son diagnostic est souvent fait au stade tardif, à cause du retard à la consultation observée chez ces patientes. Ce qui rend sa prise en charge complexe, et son pronostic sombre. La chirurgie occupe encore une place prépondérante dans la prise en charge de cette pathologie. Elle se résume en la mastectomie radicale qui est un geste mutilant avec des répercutions sociales et psychologiques. La technique du ganglion sentinelle qui tend à remplacer le curage axillaire classique dans les pays occidentaux n’est pas encore développée dans notre pays. La morbidité et le taux de complications post opératoires restent faibles. Un accent particulier doit être mis sur les campagnes de sensibilisation et de dépistage des cancers gynécologiques et mammaires, en vue de diagnostiquer précocement cette pathologie, et réduire les formes évoluées au moment du diagnostic.
Références
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