PROFIL EPIDEMIOLOGIQUE DES URGENCES CHIRURGICALES NEONATALES DU CHU DE LIBREVILLE

Boumas N1,2, Minko J I3,4, Mba Ella R2, Mba Meyo J2, Ondo Ndong F1,2

1. Service de Chirurgie du Centre Hospitalier Universitaire de Libreville, Gabon
2. Département de Chirurgie Université des Sciences et de la Santé, Gabon
3. Service de Réanimation néonatale et Néonatologie du Centre Hospitalier Universitaire de Libreville, Gabon
4. Département de Pédiatrie-Faculté de Médecine et des Sciences de la Santé, Gabon

Correspondance : Dr Boumas Natacha
E-mail : natacha_boumas@yahoo.fr
Tel : +241 04 31 54 95

 

RESUME

Objectif : Déterminer la prévalence, les causes et les facteurs épidémiologiques des urgences chirurgicales en néonatalogie ainsi que leurs difficultés de prise en charge.

Patients et méthode : Il s’agit d’une étude rétrospective descriptive portant sur les nouveaux nés hospitalisés dans le service de néonatalogie du CHU de Libreville de mars 2014 à mars 2017 pour une urgence chirurgicale.

Résultats : Nous avons colligés 42 nouveaux nés. Les urgences chirurgicales néonatales représentaient 6,4% des hospitalisations du service. Le sexe ratio était de 0,9. Les nouveaux nés étaient admis dans 71,4% dans les 3 premiers jours de vie. Les grossesses étaient bien suivies dans 83% des cas. Deux patients étaient porteurs d’un diagnostic anténatal. Le délai moyen de consultation était de 4 jours avec des extrêmes de 24 heures et 26 jours. Les pathologies les plus fréquemment rencontrées sont les urgences du tube digestif et pariétales à 73,8%, suivies de celles neuro méningées (21,4%). Une intervention chirurgicale a été effectuée dans 42,8% des cas. La mortalité globale a été de 54,7% et la mortalité post opératoire de 34,7%. Le retard de consultation, le retard de prise en charge, la prématurité, les malformations associées et le faible poids de naissance constituaient les principaux facteurs de risques.

Conclusion : Les urgences chirurgicales néonatales requièrent une prise en charge immédiate et adéquate. La promotion du diagnostic anténatal, le dépistage des urgences néonatales, l’amélioration de la prise en charge chirurgicale et par la formation du personnel de réanimation néonatale permettraient de sauver la vie de ces enfants.

Mots clés : Urgences chirurgicales, nouveau-né, mortalité, pronostic

ABSTRACT

Objective: Determine the prevalence, the main causes and epidemiologic factors of neonatal surgery emergency difficulties related to better handling of these emergencies.

Patients et method: Medical records neonates who were hospitalized in the Department of Neonatology at Libreville Teaching Hospital Center between march 2014 and march 2017 for surgical emergency.

Results: Forty two newborns were colliged. Neonatology surgical emergencies account for 6.4% of patients in the service. The sex ratio was 0.9. Newborns were admitted in 71.4% of cases within 3 days of life. The pregnancy was well followed in 83% of mothers. Two patients had prenatal diagnosis. The average period for consultation is 4 days with extremes of 1 and 26 days. The most frequent pathologies were gastrointestinal and of the anterior abdominal wall in 73.8%, followed by pathologies neurogical (21.4%). The treatment was surgical in 42.8% of patients. The global mortality rate was 54.7 % and postoperative mortality rate was 34.7%. The leading factors of a poor prognosis were the late consultation and management, prematurity, low birth weight and associated malformations.

Conclusion: The neonatal surgical emergencies require immediate and adequate management. The promoting neonatal diagnosis, neonatal emergencies screening, improved management by training neonatal resuscitation staff would save the lives of these children.

Keywords: Surgical emergencies, neonate, mortality, prognosis

 

INTRODUCTION

Les urgences néonatales regroupent l’ensemble des affections du nouveau-né nécessitant une intervention chirurgicale dans un délai court en raison d’une menace vitale ou fonctionnelle [1]. Dans les pays en voie de développement, la prise en charge des pathologies chirurgicales néonatales est problématique en raison de la rareté du diagnostic anténatal ayant pour conséquence une morbidité et une mortalité périopératoires élevées [2]. A notre connaissance, au Gabon, aucune étude épidémiologique n’a encore été réalisée sur les urgences chirurgicales néonatales. L’objectif de cette étude était de déterminer la prévalence, les causes et les facteurs épidémiologiques des urgences chirurgicales en néonatalogie ainsi que leurs difficultés de prise en charge.

 

PATIENTS ET METHODES

Il s’agit d’une étude rétrospective descriptive portant sur les nouveaux nés hospitalisés dans le service de néonatalogie du CHU de Libreville sur une période de 3 ans de mars 2014 à mars 2017 pour une urgence chirurgicale. Ont été inclus les nouveaux nés de 0 à 28 jours de vie admis dans le cadre d’une urgence chirurgicale, opérés ou non. Les variables étudiées étaient : l’âge à l’admission, le sexe, l’âge maternel, le nombre de consultation prénatale (CPN), les antécédents périnataux, les malformations associées, les affections en cause, le délai d’intervention chirurgicale, la morbidité et la mortalité. Le délai d’intervention était défini comme étant le délai entre l’indication et l’acte chirurgical proprement dit.

 

RESULTATS

Sur 655 hospitalisations dans le service, 42 dossiers ont été colligés. Les urgences chirurgicales néonatales représentaient 6,4% des hospitalisations du service. Le délai moyen de consultation était de 4 jours avec des extrêmes de 24 heures et 26 jours : 61,9 % arrivaient dans les 2 jours et 80,9 % entre 1 et 7 jours. Les patientes ont bénéficié d’au moins 3 CPN avec bilan prénatal dans 83% des cas. Pour deux (2) patients un diagnostic anténatal de laparoschisis a été fait. Le poids moyen à l’admission était de 2658,5 g avec des extrêmes de 1600 g et 3860g. Le sex ratio était de 0,9 et 8 patients étaient nés prématurés. Les différentes pathologies chirurgicales néonatales étaient résumées dans le tableau I.   Les   malformations   associées   représentaient 35,7%.

Tableau I : Répartition des différentes pathologies

PathologiesN%
Anomalies de la paroi antérieure de l'abdomen1126,2
Laparoschisis
Omphalocèle
Exstrophie cloacale
Hernie inguino-scrotale étranglée
5
4
1
1
11,9
9,5
2,4
2,4
Affections du tube digestif2047,6
Atrésie de l'œsophage
Atrésie intestinale (colique)
Maladie de Hirschsprung
Malformation anorectale
Entérocolite ulcéronécrosante
Bouchon méconial
Rupture de rate
Péritonite
3
2
3
6
2
2
1
1
7,1
4,8
7,1
14,2
4,8
4,8
2,4
2,4
Affections neuro méningées921,4
Hydrocéphalie congénitale
Myéloméningocèle
Hydrocéphalie congénitale + myéloméningocèle
Encéphalocèle
3
3
2
1
7,1
7,1
4,8
2,4
Affection urogénitale24,8
Valves de l'urètre postérieur24,8
Total42100

Un  traitement   chirurgical   définitif   ou  d’attente étaient  réalisé  chez  18  nouveau-nés  (42,8%).  Le délai thérapeutique moyen était de 4,9 jours avec des extrêmes de 3 heures et 47 jours. La mortalité globale était de 54,7% et la mortalité post opératoire de 34,7%. Les pathologies digestives représentaient 39,1% des décès suivies des pathologies pariétales avec 34,8 % de décès. La distribution de l’évolution (favorable ou décès) selon les pathologies était résumé dans le tableau II.

Tableau II : Répartition de l’évolution selon les pathologies

Evolution selon les pathologiesn (%)Favorable (%)Décès (%)Transfert ou SCAM (%)
Anomalies de la paroi antérieure de l'abdomen11(100)3 (27,3)8 (72,7)-
Laparoschisis
Omphalocèle
Exstrophie cloacale
Hernie inguino-scrotale étranglée
5
4
1
1
0
2
0
1
5
2
1
0
-
-
-
-
Affections du tube digestif20 (100)9 (45,0)10 (50,0)1 (5,0)
Atrésie de l'œsophage
Atrésie intestinale (colique)
Maladie de Hirschsprung
Malformation anorectale
Entérocolite ulcéronécrosante
Bouchon méconial
Rupture de rate
Péritonite
3
2
3
6
2
2
1
1
0
2
1
5
0
1
0
0
3
0
1
1
2
1
1
1
-
-
1
-
-
-
-
-
Affections neuro méningées9 (100)1 (11,2)4 (44,4)4 (44,4)
Hydrocéphalie congénitale
Myéloméningocèle
Hydrocéphalie congénitale + myéloméningocèle
Encéphalocèle
3
3
2
1
0
1
0
0
3
1
0
0
-
1
2
1
Affection urogénitale2 (100)1 (50)1 (50)-
Valves de l'urètre postérieur211-
Total42 (100)14 (33,3) 23 (54,8) 5 (11,9)

SCAM : Sortie contre avis médical

Les différentes variables étudiées permettaient de dresser le profil des nouveaux nés décédés (n=23). Ils étaient caractérisés par un âge maternel moyen de 23 ans, un délai d’admission et thérapeutique de 3 jours, une hypotrophie avec dénutrition à l’admission dans 12 cas, des malformations associées dans 10 cas et une prise en charge chirurgicale chez 8 de ces nouveau-nés.

 

DISCUSSION

Cette étude avait pour objectif principal de déterminer la prévalence des urgences chirurgicales néonatales dans le service et les difficultés de leur prise en charge. Les limites de cette étude sont inhérentes à son caractère rétrospectif et unicentrique. Néanmoins cette étude nous permet d’avoir une vue d’ensemble sur cette pathologie en l’absence de données y afférentes.
La prise en charge des nouveau-nés en situation d’urgence  présentant  une  pathologie  chirurgicale reste problématique dans les pays en voie de développement où les  moyens diagnostiques et thérapeutiques sont limités. Notre série a trouvé une prévalence de 6.4% en concordance avec celle estimée par OMS en 2006 [3]. Les variables étudiées ont permis de mettre en évidence des facteurs de risque de la prise en charge du nouveau-né dans notre contexte.
Notre délai moyen d’admission est de 4 jours comparable à celui retrouvé par Midekor Gonebo Kokoe et al. en Côte d’ivoire [4]. Il est moins long que celui de Dakar ou de Bukavu qui sont respectivement  de  8  et  10  jours  [5,6].  Cependant,  nous sommes loin de l’âge moyen de 1 jour devenu courant et impératif dans les pays industrialisés sans doute dû au diagnostic anténatal [7].
Malgré le bon suivi des grossesses de nos patientes avec au moins 3 échographies prénatales trimestrielles et un bilan biologique prénatal, seules 2 patientes ont bénéficié d’un diagnostic anténatal. Pour ces malformations congénitales avec diagnostic anténatal, un accouchement dans un centre spécialisé  de  réanimation  et  de  chirurgie  néonatale aurait  dû  être  programmé.  Nous  déplorons l’absence d’information aux parents du lieu et modalité  d’accouchement  ainsi  que  de  la  prise  en charge médicale et chirurgicale du futur nouveau-né afin d’éviter toutes complications liées au retard de consultation et de prise en charge. Les raisons évoquées concernant le retard de consultation dans nos pays en développement sont l’absence de diagnostic anténatal ; le transit des malades par plusieurs structures sanitaires et l’ignorance par la population des possibilités de prise en charge chirurgicale de certaines pathologies [2]. Concernant les pathologies rencontrées, les pathologies digestives et pariétales sont les plus  grandes  pourvoyeuses des  urgences chirurgicales néonatales dans notre série suivie des pathologies neurologiques comme observées dans d’autres études [6, 8].
La prise en charge des pathologies néonatales nécessite une réanimation pré et post opératoire. Notre hôpital possède un service de néonatologie cependant  une  amélioration  du  plateau  technique  ainsi que la formation continue du personnel permettraient d’obtenir une amélioration du taux de mortalité néonatale. Un geste chirurgical définitif ou d’attente  étaient  réalisés  tardivement,  dans  les  5 jours en moyenne après la naissance. Ce retard a été relevé par plusieurs auteurs [6,8-10]. Dans notre série, le retard à la chirurgie était lié en autre, à l’inexpérience des praticiens des structures sanitaires sur les tableaux cliniques chirurgicaux néonataux, le mode d’évacuation sanitaire défectueux, la difficulté d’accès à un chirurgien pédiatre et les difficultés financières des parents qui doivent prendre en charge les frais médicaux (examens complémentaires, kits chirurgicaux…). Le taux de mortalité était de 54,7%. Ce taux est justifié par des facteurs de  mortalité  non  modifiables tels que  la prématurité, l’insuffisance de poids de naissance et les malformations associées [4,5,8], auxquels s’ajoutent l’insuffisance en moyens de réanimation et   de   personnel   qualifié   dans   le   suivi   post- opératoire.

 

CONCLUSION

La prise en charge du nouveau-né dans notre contexte est laborieuse. Les urgences chirurgicales néonatales requièrent une prise en charge immédiate et adéquate. La promotion du diagnostic anténatal,   le dépistage des urgences néonatales, l’amélioration de la prise en charge par l’amélioration du plateau technique et la formation du personnel de réanimation néonatale permettraient de sauver la vie de ces enfants.

Conflit d’intérêt : Aucun

 

REFERENCES

1. Bargy F, Beaudoin Urgences chirurgicales du nouveau-né et du nourrisson. In: EMC-Pédiatrie- Maladies infectieuses 2006;1–12.
2. Ouedraogo I, Kaboré R, Napon Madinab A et Epidémiologie des urgences chirurgicales néonatales à Ouagadougou.  Archiv  de  Pédiatr  2015;22:130-4.
3. Joint WHO – March of Dimes meeting. Man- agement of birth defects and haemoglibin disorders: report of a Geneva, Switzerland, 17-19 May Genève, Organisation Mondiale de la Sante, 2006.
4. Midekor Gonebo Kokoe A, Kouassi Dasl, Ake YL et  Les  urgences  chirurgicales  néonatales dans le service de chirurgie pédiatrique du chu de Cocody. Rev Int Sc Med – RISM 2016;18(2):161-4.
5. Ndour O, Faye Fall A, Alumeti D et Facteurs de mortalité néonatale dans le service de chirurgie pédiatrique du CHU Aristide Le Dantec de Dakar. Mali Médical 2009;24(1):33-8.
6. Gulimwentuga F, Kabakuli A, Bedha Ndechu A et al. Les urgences chirurgicales néonatales à l’hôpital provincial général de référence de Bukavu en République Démocratique du Congo. Pan African Medical Journal 2016;24(219):1-10.
7. Maynard K R, Causey L, Kawaza K et New technologies for essential newborn care in under- resourced areas: what is needed and how to deliver it. Pediatrics   and   International   Child   Health 2015;35(3):192-205.
8. Ralahy M F, Rakotoarivony S T, Rakotovao M A et La mortalité néonatale au service des urgences du CHUA-JRA Antananarivo Madagascar. Revue d’Anesthésie-Réanimation et de  Médecine d’Urgence 2010;2(1):15-7.
9. Mieret JC, Yaokreh J-B, Dieth AG et Pronos- tic des pathologies chirurgicales néonatales au CHU de Yopougon. Rev Int Sc Med 2014;16(2) :126-9.
10. Takongmo S, Binam F, Monebenimp F et al. Les occlusions néonatales dans le service de chirurgie générale à  Yaoundé  (Cameroun).  Med  Afr Noire 2000;47(3):153-6