CAUSES DES DEFICIENCES VISUELLES DANS UNE ECOLE SPECIALISEE EN MILIEU URBAIN AFRICAIN

MBA AKI T1, SYLLA F2, ASSOUMOU PA1

1. Faculté de médecine de Libreville, CHU Angondjé, Email : mbatati4@yahoo.fr, BP : 9183
2. Institut d’ophtalmologie tropicale d’Afrique

 

RESUME

Introduction : Les baisses de la vision et la cécité représentent l’ensemble des déficiences visuelles. Ce handicap constitue un lourd fardeau par les coûts importants qu’elle génère.

Objectif : Recenser les causes des déficiences visuelles dans une école spécialisée en milieu urbain africain.

Matériel et méthodes : Cette étude descriptive et observationnelle avait concerné les élèves déficients visuels inscrits à l’institut des jeunes aveugles de Bamako. Ils étaient inclus, tous ceux répondant aux critères de la baisse de la vision et de la cécité définis par la CMI-10 de l’OMS. La fiche standardisée de l’OMS pour l’enregistrement des causes de perte visuelle chez l’enfant était celle utilisée pour cette enquête. Les données étaient analysées avec Epi info 6.04 dfr. Il a été calculé la fréquence des différents items étudiés.

Résultats : Sur 125 inscrits, 110 (220 yeux) étaient examinés. L’âge moyen était de 11,42 ans [5-24]. La baisse de la vision de loin était modérée (catégorie I) pour 3,6% de l’effectif et sévère (catégorie II) pour 11,8%. La cécité (catégorie III, IV, V) était présente dans 84,5% des yeux. Les lésions responsables de la déficience visuelle étaient d’abord  morphologiques (45,9%), cornéennes (17,7%), atteintes du nerf optique (10%), rétiniennes (8,2%) et cristalliniennes (5,5%). Le globe oculaire était anatomiquement normal pour 12,7% des yeux. Les facteurs étiologiques étaient dits indéterminés (73,2%), héréditaires (5,4%), postnataux (17,3%) et péri-néonataux (1,8%).

Conclusion : Dans cette étude, la déficience visuelle est de survenue précoce avec des atteintes visuelles graves et un retentissement péjoratif sur l’apprentissage scolaire.

Mots-clés : Déficience visuelle, cécité, rétine, cristallin

ABSTRACT

Introduction: Short-sightness and blindness represent the whole lot of visual defficiencies. That disable state is a heavy burden because of the important costs.

Objectif: Inventory the causes of visual impairment in an African urban specialized school.

Material and methods: This descriptive and observational has targetted student with visual impairments at the Bamako youth blind Center. All those who met the criteria for low vision blindness were included, according the standardized criteria of the CMI-10 of the WHO. The WHO standardized file for visual loss in child was used. Data were analyzed with Epi info 6.04 dfr. Frequencies of different studied items were studied.

Results: Among 125, 110 (220 eyes) were axamined. The mea nage was 11.42 ans [5-24]. The decline of far- sightness was moderate (category I) for 3.6% of the sample and severe (category II) for 11.8%. Blindness (categories III, IV, V) was present in 84.5% of eyes. Lesions responsible of visual deficiency mostly morphologic (45.9%), corneal (17.7%), optical nerve (10%), retinal (8.2%) and cristalline lens (5.5%). The eye-ball was anatomically normal for 12.7% of eyes. Etiologic factors were undetermined for (73.2%), hereditary (5.4%), postnatal (17.3%) and peri-neonatal (1.8%).

Conclusion: In that study, visual impairment appears precociously with severe visual impairments and a pejorative impact on learning.

Motsclés : Visual impairment, blindness, retina, lens.

 

INTRODUCTION

Les baisses de la vision et la cécité représentent l’ensemble des déficiences visuelles dont la définition se fonde sur la classification de référence de l’OMS éditée en 1993 et reprise dans la 10ème édition, de la classification internationale des maladies (CMI-10) [1].
Selon les données 2010 de l’OMS, il y aurait dans le monde près de 285 millions de personnes présentant une déficience visuelle, dont 39 millions d’aveugles et 246 millions avec une basse de vision. Parmi elles, il était dénombré 19 millions d’enfants de moins de 15 ans [2]. Toujours selon l’OMS, la déficience visuelle n’est pas uniformément répartie dans le monde, les trois quarts vivant dans les régions pauvres d’Asie et d’Afrique [2]. Selon les mêmes sources, elle a un impact socio-économique en raison de nombreuses années à vivre avec ce handicap et le fait qu’elle constitue un lourd fardeau par les coûts importants qu’elle génère [2,3].
En Afrique et dans le reste du monde, ce sujet a fait l’objet de plusieurs études dans les milieux scolaires spécialisés [4-7], hospitaliers [8] et dans les populations générales [10,11]. Il en ressort que les principales étiologies de la déficience visuelle chez les enfants des pays occidentaux sont surtout génétiques, congénitales ou  périnatales avec une prédominance des  lésions du  segment postérieur [12]. Inversement en Afrique, ce sont les atteintes du segment antérieur qui affectent le  plus, dans un contexte de pathologies postnatales infectieuses et nutritionnelles [12].
Au Mali, la rareté de données sur ce sujet nous a amené à conduire cette étude dont l’objectif était de recenser les causes des déficiences visuelles dans une école spécialisée en milieu urbain africain.

 

PATIENT ET METHODES

Cette étude s’était déroulée à l’institut des jeunes aveugles (IJA) de Bamako. Il s’agissait d’une école spécialisée du premier et second degré destinée aux enfants et  jeunes adultes déficients visuels. Elle compte en son sein une unité d’ophtalmologie. Cette étude était   observationnelle, transversale, à visée descriptive et menée sur une période de deux mois, durant la période scolaire 2013-2014. La population cible était celle des élèves déficients visuels inscrits dans l’établissement. Tous les enfants qui répondaient aux critères de la baisse de la vision et de la cécité définis par la CMI-10 de l’OMS [1], avaient été inclus. Les élèves ne répondant pas à ces critères et ceux dont l’accord parental n’avait pas été obtenu n’étaient pas inclus. Une rencontre préalable entre les responsables scolaires et les investigateurs de l’étude avait été organisée. Elle avait pour but de leur présenter l’étude et ses modalités et d’obtenir l’autorisation d’enquêter. A la suite de cette rencontre, les  autorités scolaires avaient informé individuellement chaque parent d’élève et obtenu par écrit sur des formulaires pré établi leur consentement. Les  élèves  étaient examinés dans l’unité d’ophtalmologie par un ophtalmologue. La fiche standardisée de l’OMS pour l’enregistrement des causes de perte visuelle chez l’enfant était celle utilisée pour cette enquête [13]. Le retard scolaire était ajouté comme item supplémentaire. Ce retard a été calculé à partir de l’année d’étude attendue pour l’âge actuel, à laquelle il a  été soustrait l’année d’étude en cours. Les éléments de cette fiche retenus étaient l’âge, le sexe, la période de survenu de la déficience visuelle, l’acuité visuelle de loin du meilleur œil avec correction optique pour les cas d’amétropie, le site anatomique de la lésion responsable de la déficience visuelle, la présence d’autres incapacités et le facteur étiologique. L’examen ophtalmologique débutait par le recueille des données anamnestiques au cours d’entretiens directs avec les élèves, les parents et/ou le personnel scolaire. L’acuité visuelle de loin était mesurée sur chaque œil à l’aide d’une échelle de lecture (Monoyer) placée à 5 mètres du patient. Pour les cas d’amétropie, elle  se  mesurait avec  la  correction optique. L’acuité visuelle du meilleur œil était celle retenue  pour  l’enquête.  L’examen du    segment antérieur était réalisé avec le biomicroscope. Le fond d’œil était réalisé à l’aide d’une lentille de Volk ou d’un ophtalmoscope après dilatation de la pupille avec un mydriatique lorsque cela était possible. La réfraction sous cycloplégique était effectuée pour les cas d’amétropie. Les données étaient analysées avec le  logiciel Epi  info  6.04  dfr.  La  fréquence des différents items a été calculée.

 

RESULTATS

Caractéristiques sociodémographiques

Sur 125 inscrits à l’IJA, 110 ont été examinés, ce qui correspond à 220 yeux, soit 88% de l’effectif de l’école. L’âge moyen était de 11,42 ans, avec comme extrêmes 5 et 24 ans. La tranche d’âge de 10-15 ans représentait 57,3% de l’effectif. La proportion des filles était de 64,5%, soit un ratio homme/femme de 0,55.  Pour  67,3%  (n=  74/110)  de  l’effectif,  la déficience visuelle était découverte dès la naissance.
Le retard scolaire de 3 ans et plus était retrouvé chez 65,5% des élèves. Concernant les antécédents, il y avait 3,6% de consanguinité parentale connue, 4,5% de  traumatisme oculaire et  13,6% de  chirurgie oculaire.

 

Acuité visuelle de loin du meilleur œil

La répartition de l’acuité visuelle de loin est donnée dans le tableau I. La baisse de la vision de loin était modérée (catégorie I) pour 3,6% (4/110) de l’effectif et sévère (catégorie II) pour 11,8% (13/110). La cécité (catégorie III, IV, V) était présente pour 84,5% de l’effectif, dont 54,5% (60/110) était totale (catégorie V).

Tableau I: Acuité visuelle de loin (AVL) du meilleur œil

AVL du meilleur œilCatégories (CMI-10)Effectifs (n= 110)%
[1/10-3/10[I43,6
[1/20-1/10[II1311,8
[1/50-1/20[III76,4
[PL+* -1/50[IV2623,6
PPL**V6054,5

PL+* = perception lumineuse positive, PPL**= pas de perception lumineuse

 

Handicaps associés

La déficience visuelle était associée à un handicap supplémentaire pour 6,4% d’écoliers (n= 7/110). Il s’agissait de retard mental (n=3/110), d’épilepsie (n=2/110) et d’handicap physique (n= 2/110).

 

Site de la lésion responsable de la déficience visuelle

Les sites anatomiques conduisant à la déficience visuelle sont énumérés dans le tableau II.
Le globe oculaire était anatomiquement normal pour 28 yeux, soit 12,7% de l’effectif. Il s’agissait de cas d’amblyopie (3,6%, n=8/220), d’amétropie (7,3%, n=16/220) et de cécité corticale (1,8%, n=4/220) secondaire à une hypoxie cérébrale. La cornée était responsable de la déficience visuelle pour 17,7% (n=39/220) des yeux. Les lésions incriminées étaient la sclérocornée (11,4%, n=25/220), la taie (2,3%, n=5/220), le  staphylome (3,2%, n=7/220) et  le kératocône (1%, n=2/220). Les atteintes cristalliniennes représentaient 5,5% (n=12/220) des yeux. Elles regroupaient les cataractes non opérées (1,8%, n=4/220) et  les complications liées à  sa chirurgie (3,6%, n= 8/220).

Tableau II : site anatomique de la lésion responsable d la déficience visuelle

Lésions Yeux (n= 220)%
Globe paressant normal2812,7
Cornée3917,7
Cristallin12
5,5
Rétine188,2
Nerf optique2210
Morphologique*10145,9

Morphologique*= phtisie, anophtalmie, microphtalmie, buphtalmie, ablation de l’œil, désorganisation et autres

La déficience visuelle avait une origine rétinienne dans 8,2% (n=18/220) des cas. Les pathologies responsables étaient  la  rétinopathie pigmentaire (2,7%, n= 6/220), l’albinisme (2,7%, n=6/220), la choriorétinite toxoplasmique cicatricielle (2,3%, n=5/220) et le décollement de la rétine traumatique (0,5%, n= 1/220).
Vingt-deux yeux (10%) avaient une atteinte du nerf optique, il s’agissait d’atrophie optique glaucomateuse    (7,3%,    n=16/220)    et     non glaucomateuse d’étiologie indéterminée (2,7%, n=6/220).
Les lésions morphologiques  représentaient  45,9% (n=101/220) des  atteintes  oculaires.  Le  globe oculaire avait une structure désorganisé avec de multiples lésions pour 47 yeux, soit 21,4%. La phtisie (11,4%, n=25/220), l’anophtalmie (6,4%, n=14/220) et  la  microphtalmie (6%,  n=13/220) étaient des lésions également retrouvées. Deux yeux avaient subi une ablation pour rétinoblastome.

 

Facteurs étiologiques de la déficience visuelle

Les facteurs étiologiques responsables de la déficience visuelle sont classés selon leur période de survenue dans le tableau III. Les facteurs héréditaires étaient retrouvé dans 5,4% (n=12/220) des cas, avec 2,7% (n= 6/220) pour rétinopathie pigmentaire et 2,7% (n=6/220) pour l’albinisme. La toxoplasmose congénitale était le seul facteur intra-utérin certain, soit 2,3% (5/220) des yeux. L’hypoxie cérébrale était le  facteur péri  et  néonatal retrouvé    dans  1,8% (n=4/220) des yeux. Les facteurs postnataux étaient essentiellement traumatiques, soit 17,3% (n=38/220) et responsables de taies cornéennes (2,3%, n=5/220), de staphylomes (3,2%, n=5/220) de décollement de la rétine (0,5%, n=1/220), et de phtisie (11,4%, n=25/220). Les étiologies étaient dites indéterminées pour 73,2% (n=161/220) des yeux.

Tableau III : Facteurs étiologiques de la déficience visuelle

Facteurs étiologiques Effectifs (n= 220)%
Héréditaire12
5,4
Intra-utérin52,3
Péri/néonatal41,8
Postnatal3817,3
Indéterminé16173,2

Il  s’agissait  de  cas  d’amblyopies (3,6%, n=8/220), d’amétropies   (7,3%,    n=16/220),   de malformations congénitales à type de sclérocornées (11,  4%,  n=25/220), de  kératocônes (0,9%,  n=2/220), de cataractes congénitales (5,4%, n=12/220) opérées ou non, de glaucomes congénitaux (7,3%,n=16/220), d’anophtalmies (6,4%, n= 14/220) et de microphtalmies (6%, n=13/220). Les atrophies optiques non glaucomateuses (2,7%, n=6/220), le rétinoblastome (0,9%, n=2/220) et les lésions multiples (21,4%, n= 47/220) en faisaient partie.

 

DISCUSSION

Cette étude prospective et descriptive a permis de colliger 110 élèves, soit 220 yeux. Elle comporte certains biais par le fait que tous les enfants déficients visuels vivant à Bamako n’étaient pas scolarisés à  l’IJA  d’une  part  et  d’autre part  le diagnostic rétrospectif de certaines lésions oculaires a été difficile à établir à cause de l’absence d’informations médicales de suivi disponibles dans l’établissement. Malgré cela, cette étude peut constituer un apport préliminaire dans l’amélioration des connaissances sur la déficience visuelle dans le milieu Malien.

 

Caractéristiques sociodémographiques

La population d’écoliers de cette étude était constituée d’enfants, d’adolescents et  de  jeunes adultes dont la tranche d’âge de 10-15 ans était majoritaire.
La comparaison avec d’autres études concernant la tranche d’âge la  plus affectée par  la  déficience visuelle est difficile à cause de la variabilité des différentes  méthodologies. Néanmoins, plusieurs études retrouvent que sa prévalence augmentait avec l’âge [14].
Une prédominance féminine était retrouvée dans cette étude ainsi que dans celle de Kingo en Tanzanie [15]. Aussi, les données 2010 de l’OMS notaient de façon régulière dans toutes les régions du monde et à tous âges que les femmes étaient plus exposées au risque d’atteinte visuelle que les hommes [14]. A contrario, les hommes étaient retrouvés majoritaires dans certaines séries du Nigéria [16], du Cameroun [4, 8], du Bangladesh [17] et du Pakistan [18].
Deux tiers de notre effectif était déficient visuel depuis la naissance. Ce taux est supérieur à celui retrouvé par  Ntim-Amponsah au  Ghana [19]  et Alagaratnam en Angleterre [20], soit respectivement 42,8% et 45%. L’existence depuis la naissance de ce handicap, suggère le caractère précoce voire congénital des lésions responsables. La déficience visuelle peut retentir chez l’enfant au niveau du développement psychique, relationnel, psychomoteur et  cognitif. Ce  retentissement est surtout fonction  de  la  période  de  survenue du handicap et de l’importance de l’atteinte visuelle. Ainsi un enfant en état de cécité congénitale mettra en place un développement différent de celui d’un enfant malvoyant après cette période [21]. Le dépistage précoce de ces troubles est donc primordial afin de mettre en place des stratégies de prise en charge adaptées.
Le retard scolaire de trois ans et plus était observé chez plus des deux tiers de l’effectif expliquant la présence dans cette école spécialisée (IJA) d’adolescent et de jeunes adultes. En faisant une relation avec  les  amétropies, Ayed  en  Tunisie retrouvaient que  celles-ci  étaient liées de façon statistiquement significative au retard scolaire [22].
A cela il faudrait ajouter le faible taux de scolarisation dans cette population. En effet, selon l’OMS dans les pays en développement, moins de 10% des enfants atteints de déficience visuelle ont accès à l’éducation. Ce manque d’instruction perpétue le cycle de l’illettrisme et de la pauvreté dans ce groupe [14].

 

Acuité visuelle de loin du meilleur œil

Plus des 4/5ème des écoliers avaient une acuité visuelle inférieure à 1/20ème, c’est-à-dire étaient au stade de cécité, parmi eux plus de la moitié ne percevait pas la lumière (cécité totale). Ce fort taux de cécité concorde avec le type de lésions retrouvées dans  cette  série.  Il  s’agissait principalement de lésions malformatives graves.
Au Cameroun, Domngang notait 87,5% d’aveugles dans son effectif [4]. En Afrique de l’est, une étude multicentrique régionale  sur  le  sujet,  menée  en milieu scolaire spécialisé au Malawi, en Ouganda, au Kenya  et en Tanzanie avait montré que 65,2% des participants avaient une grave déficience visuelle ou cécité [23]. Titiyal en Inde retrouvait un taux encore plus élevé (89,3%) [7]. Il était cependant plus faible pour l’équipe Brésilienne (46,8%) [24], mais surtout suédoise (25,6%) [25].
Les études africaines retrouvent une proportion plus élevées de personnes aveugles dans le groupe des déficients visuels. Ces  résultats contrastent avec ceux des pays à fort revenus où la prise en charge est plus précoce et plus adaptée.

 

Handicaps associés

En dehors de la déficience visuelle, trois écoliers présentaient d’autres incapacités, à savoir le retard mental, l’épilepsie et le handicap physique. Alagaratnam retrouvait que 76,6% de sa cohorte d’enfants déficients visuels  avaient  un  handicap supplémentaire avec 27,1% de retard mental, 22,4% d’épilepsie  et  19,6%  d’handicap  physique  [20].
Boonstra retrouvait des taux similaires (27,2%) [9] à ceux d’Alagaratnam concernant le retard mental.
La faible association avec d’autres handicaps retrouvés dans cette enquête pourrait s’expliquer par la petite taille de cet échantillon et/ou une possible espérance de vie plus faible ou d’un faible taux de scolarisation de ce groupe dans le milieu malien.

 

Site de la lésion responsable de la déficience visuelle

Les atteintes morphologiques (45,9%) dominées par les lésions malformatives ont constitué la première cause de déficience visuelle dans cette série. Ces types de lésions ont été moins fréquents dans les autres séries africaines [4,5,8,11,15,16,19,23]. En Inde, les atteintes morphologiques étaient les premières (27,4%) responsables des pertes visuelles chez les enfants avec néanmoins des proportions environs deux fois inférieures à celles de cette étude [7]. Le fait que cette enquête retrouve un  fort taux de  lésions  morphologiques surtout  malformatifs pourrait avoir comme explication une grande implication de  facteurs  infectieux périnataux ou environnementaux liés à une carence maternelle en vitamine A, à son exposition aux toxiques. Une autre explication serait l’existence de facteurs génétiques dans un contexte où la consanguinité parentale est tolérée. Ses résultats amènent à s’interroger sur les difficultés de la prise en charge materno-fœtale en période prénatale dans le milieu malien. Les atteintes cornéennes étaient la deuxième (17,7%) cause de baisse visuelle dans cet échantillon contrairement aux nombreuses autres enquêtes africaines qui les plaçaient en première position. Ainsi, la série camerounaise avait 31,1% d’atteintes cornéennes dans l’ensemble de la population examinée et 38,1% chez les moins de 16 ans [4]. En Afrique de l’est, elles étaient de 19% [23], au Nigeria de 39,1% chez les moins de 16 ans et 44,7% chez les adultes [24]. Aussi,  les  études  Ethiopiennes (62,4%)  [25]  et Népalaises (35,8%) [26] étaient en accord avec les précédentes. De  façon  globale,  il  est  noté  une diminution des atteintes cornéennes dans les pays du sud grâce à une nette régression du trachome et des avitaminoses favorisée par des politiques sanitaires menées par les états et l’OMS [27].
Les atteintes rétiniennes étaient dans cette étude la troisième cause de  perte  visuelle avec  8,2%  de l’effectif. Au Cameroun, l’étude hospitalière menée par Bella [8] et celle de  Domngang [4] en milieu scolaire spécialisé classaient les atteintes rétiniennes respectivement en  3ème   (4,5%)  et  4ème   position (10,7%). Pour  Titiyal  en  Inde,  elles  occupaient également la 3ème place (15,1%,) [7]. En revanche, en Malaisie [6], elles étaient en tête de liste. La faible proportion des lésions rétiniennes constatée dans cette étude et dans d’autres en Afrique pourrait être sous-estimée à cause du manque de moyens performants  (tomographie en  cohérence  optique, électrorétinogramme) qui  permettent  d’améliorer certains diagnostics. Ceci pourrait aussi être valable pour les atteintes du nerf optique retrouvées peu fréquentes dans cette enquête.
Les  atteintes du  cristallin étaient  également peu fréquentes. Ils s’agissaient de cataracte non opérées et des complications de sa chirurgie. A l’inverse, elles étaient plus représentées dans les séries du Cameroun [4], du Bangladesh [17], et de la Malaisie [6].

 

Facteurs étiologiques de la déficience visuelle

Les facteurs étiologiques responsables de la déficience visuelle dans ce travail étaient indéterminés pour 73,2% des yeux, avec majoritairement les  lésions malformatives et  multiples. Titiyal  en  notait  56,5%  avec  principalement les anomalies congénitales (42,3%) [7] et Patel 43,1% [6]. Pour Haddad, les principales causes de déficience visuelle étaient surtout congénitales avec 30,6% de glaucome congénital, 16,7% de choriorétinite maculaire liée à la toxoplasmose congénitale, 12,8% de cataracte congénitale, 11,7% de rétinopathies et maculopathies héréditaires et 9,8% d’atrophie optique [28].
Les facteurs étiologiques postnataux étaient essentiellement traumatique dans cette série, soit 17,3% (n=  38/220). Bien  que  son  étude  concernait les cécités mono et binoculaire, Atipo avaient retrouvé 36,5% de traumatisme dans sa série d’enfant au Congo-Brazzaville [29] et 5,4% pour Domngang au Cameroun [4]. Par ailleurs Titiyal observait 28,0% d’étiologies postnatales, en  rapport  avec l’avitaminose A et la rougeole [7]. Aussi, Muhit au Bangladesh retrouvait    beaucoup plus  de  causes postnatales attribués à l’avitaminose que les précédents auteurs, soit 75% des cas [17].
Les facteurs intra-utérins (2,3%), péri et néonataux (1,8%) et héréditaires (5,4%) étaient peu fréquent dans cette étude. Patel observait 21,7% de facteurs héréditaires et  20,5% de  facteurs périnataux [6]. Titiyal quant à lui avait identifié 13,4 % de facteurs héréditaires [7].
A l’inverse des pays à bas revenus, les pays développés, tels que le Royaume-Uni [30], les Etats- Unis [31] et Israël [32], ont une majorité de causes périnatales, notamment les cas de cécités d’origine corticale.
Dans cette étude, le fait d’avoir trouvé un grand nombre   de   facteurs   étiologiques   indéterminés impliqué dans le handicap visuel et une faible participation des autres facteurs s’expliquerait par le manque de données sur les mécanismes de survenu de certaines lésions dans cette étude. Aussi, le manque de certains moyens d’exploration pouvant aider au diagnostic à contribuer à grossir ce groupe.
Ainsi, la différence des facteurs étiologiques entre les pays à revenus faibles et ceux à hauts revenus pourrait s’expliquer par l’inégalité d’accès aux soins ophtalmologiques.

 

CONCLUSION

Cette étude a permis de constater que la déficience visuelle de notre échantillon était de survenue précoce avec un retentissement péjoratif sur l’apprentissage scolaire. Les atteintes visuelles sont profondes et associées à des lésions morphologiques graves. Leurs facteurs étiologiques sont majoritairement indéterminés. L’étude a également permis de constater la difficulté dans sa recherche étiologique, d’où la nécessité d’une part d’améliorer les moyens diagnostiques et d’autre part de mettre en place un registre national pour les déficients visuels qui permettrait de recenser les données plus complètes.

 

REFERENCES

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