UN CAS DE VER AFRICAIN DE L’OEIL: LA LOASE, EN REGION PARISIENNE.

Konan NM1,2, Kassi KF 3, Binan Y1, Acko U1, Bita D1, Wognin A1 , Ouattara R1, Kouassi AV1, Yavo W3, Toutou T1, Menan EIH3

1 Service de Médecine interne, Centre Hospitalier Universitaire de Treichville, Abidjan, Côte d’Ivoire.
2 Service de Médecine interne, Hôpital Antoine Béclère, Paris, France.
3 Laboratoire de Parasitologie-mycologie, UFR des Sciences Pharmaceutiques et Biologiques, Université Félix Houphouët Boigny, BPV 34, Abidjan, Côte d’Ivoire.

Auteur correspondant: Kassi FK (kasful2000@yahoo.fr)

 

Résumé

Introduction: La loase est une maladie strictement africaine avec une distribution limitée dans le bloc forestier centrafricain et de l’ouest.
Description du cas: Le ver adulte de Loa loa a été extrait de la paupière supérieure gauche chez un travailleur originaire du Cameroun et résidant en France depuis 11 ans. Il a consulté le service de médecine interne en banlieue parisienne pour gène et prurit du visage essentiellement dans la région périorbitaire gauche avec une sensation de « trainée» évoluant depuis 4 mois. Le ver a été extrait avec une pince chirurgicale puis identifié comme étant la microfilaire de Loa loa. Le patient a été traité avec de l’ivermectine. En raison de l’augmentation de la migration des populations africaines vers l’Europe, des manifestations rares des cas de loase oculaire sont de plus en plus connues.

Conclusion: Devant ces signes cliniques et le statut immigrant ou voyageur des patients, le diagnostic de la loase peut être évoqué.

Mots-clés: Filariose, loase, maladie d’importation, France.

Abstract

Introduction: Loiasis is a disease strictly African with limited distribution in the Western and Central African forest.
Case description: The adult Loa loa worm was extracted from the upper left eyelid in a worker from Cameroon who has been living in France for 11 years. He consulted the department of internal medicine in the Paris suburbs for gene and pruritus of the face mainly in the left periorbital area with a sensation of « drag » evolving for 4 months.
The worm was extracted with a surgical forceps and identified as the Loa loa microfilariae. The patient was treated with ivermectin. Due to increased migration of African populations to Europe, rare manifestations of eye loiasis are becoming more known.
Conclusion: Through the clinical signs and immigrant patients status or traveler, loiasis can be discussed.

Keywords: Filariasis, loiasis, importation disease, France.

 

Introduction

La loase est une filariose cutanéo-dermique dont la répartition géographique est strictement localisée aux régions forestières des pays d’Afrique centrale, y compris le Cameroun [1]. La maladie est transmise à l’homme par un tabanidé du genre Chrysops, qui vit dans les forêts de canopés [2]. Au cours des dernières années, en raison de l’augmentation de la migration des populations vers l’Europe des manifestations de loase oculaires sont de plus en plus décrites [3]. Ainsi, la loase est de loin la filariose la plus rapportée chez les migrants et les voyageurs [4]. Le pathogène a déjà été isolé de beaucoup de régions oculaires telles que la conjonctive [5], la chambre antérieure de l’oeil [6], la rétine [7] ainsi que de la région souscutanée péri oculaire [3]. Nous rapportons ici, un cas de Loa loa péri oculaire importé en France par un Camerounais.

 

Observation

Il s’agissait d’un homme de 48 ans, ingénieur des travaux publics, originaire du Cameroun et résidant en France depuis 1983. Son dernier voyage au Cameroun remontait en 2010. Selon son histoire médicale, il est traité pour une hypertension artérielle depuis 4 ans par l’aténolol. Il est asthmatique avec une notion d’hyper éosinophilie persistante depuis 10 ans. Il a consulté en juin 2014 dans un service de médecine interne en banlieue parisienne pour gène et prurit essentiellement dans la région périorbitaire gauche avec une sensation de « trainée» évoluant depuis 4 mois. À l’interrogatoire, il a signalé des oedèmes indolores fugaces sur l’avant-bras gauche et droit. Il a également évoqué une gêne oculaire gauche avec sensation de corps étranger mobile, photophobie, larmoiement, sans baisse de l’acuité visuelle, et l’observation d’un« ver » mobile migrant sous la conjonctive, disparaissant spontanément au bout de quelques minutes. L’examen physique avait objectivé deux vers vivants en déplacement sur la cornée et l’iris de l’oeil gauche avec une hyperhémie conjonctivale (photo 1).

Photo 1: Microfilaire adulte de Loa loa dans la chambre antérieure (A et B).

Le reste de l’examen physique était sans particularité. Des investigations complémentaires ophtalmologiques ont révélé l’absence de lésion rétinienne dégénérative et infectieuse. Au niveau biochimique, aucune particularité n’a été observée: CRP négative, bilan rénal et hépatique normal. L’exploration de l’immunité pour la sérologie VIH était négative avec un taux de CD4 de 853/mm3. La numération formule sanguine a révélé une hyperéosinophilie à 3000 éléments/mm3, les autres constantes étant normales. La radiographie thoracique était sans particularité. Le bilan a été complété par une recherche de microfilaire sur frottis sanguin périphérique, (coloré au Giemsa (au 1/10 ème), aux heures chaudes de la journée (périodicité diurne). Il a permis d’objectiver la présence de microfilaires de Loa loa (photo 2).

Photo 2: Observation de la microfilaire adulte de Loa loa au microscope optique, au grossissement 100.

Un examen microscopique détaillé du ver a été effectué pour le différencier de Wuchereria bancrofti et Onchocerca volvulus, qui sont endémiques en Afrique centrale. Chez cet homme, le diagnostic de loase avait été retenu. Il a été hospitalisé, et traité par de l’ivermectine à raison 200 microgrammes par kilogramme soit 12 mg par voie orale sous couvert de prévention allergique par du Méthylprednisone (40 m g/ml), d e l a C étirizine ( 10 m g/cp) e t d e l a Dexchlorphéniramine (2 mg/cp). La tolérance clinique et biologique a été excellente. Sous un éclairage, et avant d’appliquer l’anesthésique local, le ver a été saisi avec une pince chirurgicale. Une incision horizontale de la peau de 2-3 mm a été réalisée après avoir injecté environ 1,5 ml de xylocaïne à 2% par voie sous-cutanée. Un ver de 3 cm de longueur a été extrait et confirmé comme étant un ver adulte Loa loa. La procédure s’est terminée par un lavage de la chambre antérieure, suivi d’une injection subconjuctivale d’une combinaison de stéroïdes et d’antibiotiques (ofloxacine). Le patient est rentré à domicile après 6 jours d’hospitalisation et est revu un mois plus tard en consultation. Le prurit a disparu avec une résolution de l’éosinophilie, et une négativation de la recherche des microfilaires sans complication oculaire.

 

Discussion

La manifestation oculaire de la loase a été documentée principalement dans les pays en développement [8,9]. Cette manifestation rare peut se produire à tout âge. Dans trois cas précédents signalés au Cameroun, les patients étaient âgés respectivement de 14 mois, 18 mois et 27 ans [7].
Dans l’étude en cours, l’âge du patient est également similaire à ceux de précédents rapports [4,10]. En effet, il a été rapporté que la microfilaire de Loa loa peut vivre plus de 10 ans [11]. Le record d’âge rapporté jusqu’ici est de 17 ans [12]. Dans notre cas, le patient a quitté le Cameroun depuis 1983; et cela fait plus de 10 ans qu’il présente une hyper éosinophilie. Cela nous amène à reconsidérer la durée de vie maximum de la microfilaire Loa loa qui pourrait être évaluée à plus de 20 ans. Cependant, notre patient est retourné au Cameroun en 2010 pour 4 semaines de congé. A son retour en France, il a présenté des signes cliniques tels que l’oedème de Calabar et la migration de vers dans la cornée de l’oeil. On pourrait dans ce cas, évoquer une possible réinfestation chez ce patient lors de son dernier séjour au Cameroun surtout qu’il est resté asymptomatique jusqu’en 2010 malgré une hyper éosinophilie. En somme la durée de vie maximum de la filaire à Loa Loa laisse libre cours à la spéculation mais il faut retenir que cette durée de vie pourrait aller au-delà de 17 ans.
Au cours du traitement, l’aggravation des phénomènes immunoallergiques par lyse des microfilaires et libération massive d’antigènes est probable, entraînant alors une réaction aiguë, ce qui n’a pas été le cas dans notre observation. Ces effets, le plus souvent neurologiques, étaient bien connus dans les cas de microfilarémie élevée avec l’utilisation de la diéthylcarbamazine (DEC). Ces réactions peuvent survenir chez des sujets amicrofilarémiques, mais leur intensité est généralement corrélée à la charge initiale. L’administration concomitante d’antihista-miniques pourrait limiter leur sévérité, mais pas leur fréquence [13]. L’utilisation actuelle de l’ivermectine est mieux tolérée [14] mais des effets secondaires parfois graves ont été rapportés dans la littérature [15] et notamment des troubles neurologiques [16], ce qui n’est pas le cas dans notre observation. Des atteintes rénales ont également été signalées après traitement d’une loase par ivermectine [17]. L’ivermectine est préconisé pour des charges parasitaires comprises entre 2000 et 8000/ml. Le traitement associe des antihistaminiques et des corticoïdes pour réduire le risque d’effets secondaires et de réactions immunes allergiques dues à la lyse des parasites [18]. L’extraction du ver à la pince est habituellement aisée après application topique d’un collyre anesthésique immobilisant la filaire [16], ce qui a été le cas pour notre patient. En effet, l’élimination chirurgicale du ver est relativement simple et devrait être effectuée dès que possible pour prévenir les dommages structurels dans la chambre antérieure de l’oeil. Dans notre cas, le retrait du vers a été effectué sous anesthésie locale. Notre patient n’a pas développé de complications en raison de la présentation précoce et d’une prise en charge adéquate. Cependant, des complications secondaires, y compris un cas d’aveuglement suite à la filariose de la chambre antérieure a été signalé par Osuntokun et al. [19].

 

Conclusion

La loase est une filariose localisée aux régions forestières de l’Afrique centrale mais dont les manifestations parfois spectaculaires peuvent s’observer aux quatre coins du globe, à la faveur des mouvements migratoires. Ainsi, un contexte d’hyper éosinophilie avec une notion de provenance en zone d’endémie devrait faire rechercher une filariose notamment la loase.

 

Conflit d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Contribution des auteurs
KNM a initié l’étude. KNM et KKF et SF ont rédigé le manuscrit. BY, AU, BD, WA, OR, K AV, T et Melan ont contribué à la rédaction du manuscrit.

Remerciements
Nos remerciements s’adressent au personnel du service de médecine interne de l’hôpital Antoine Béclère, Paris, France.

 

Références

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