Nzé Obiang PC1,2, Ngomas JF2, Nzoghe Nguema P3, Obame R3, Essola L2, Ifoudji A2, Sima Nzué A2.
1. Service d’Anesthésie-Réanimation, CHU Mère-Enfant FJE, Libreville, Gabon.
2. Département d’Anesthésie-Réanimation-Urgences, CHU de Libreville, Gabon.
3. Département d’Anesthésie-Réanimation-Urgences, CHU d’Owendo, Libreville, Gabon.
Correspondance: NZE OBIANG Pascal Christian, Service d’anesthésie-réanimation et des urgences, CHU Mère-Enfant de Libreville,
BP 7411 Libreville GABON.
Tél : 00 241 04526820
E-mail : nzepascal@gmail.com
Résumé
Les modifications métaboliques de la période périopératoire représentent des facteurs de décompensation de la dysautonomie cardiovasculaire diabétique. Nous rapportons le cas d’un patient âgé de 55 ans diabétique équilibré ayant bénéficié d’une laparotomie en urgence sous anesthésie générale, indiquée devant une occlusion intestinale. Le patient était stable en pré et en peropératoire. L’analgésie postopératoire a utilisé l’association paracétamol-tramadol. A J2 postopératoire, le patient a présenté une détresse respiratoire brutale, accompagnée de troubles du rythme supra ventriculaires et des ondes T négatives sur les dérivations latérales gauches. Il n’y avait pas de signes infectieux cliniques, biologiques ou radiographiques décelables. L’échocardiographie objectivait une hypokinésie globale avec une fraction d’éjection ventriculaire à 25%, associée à une hypertension artérielle pulmonaire à 35 mm Hg, Les cavités cardiaques étaient normales. La troponine ultra-sensible, la glycémie, les D. dimères et le taux d’hémoglobine étaient normales. Cependant, on relevait une hypokaliémie à 2,8 mEq.L-1 et une augmentation de la proBNP à 100 fois la normale. Le tableau clinique a évolué vers un choc cardiogénique fatal, malgré la réanimation cardio circulatoire entreprise immédiatement. L’hypokalémie et l’insuffisance de l’analgésie postopératoire semblent expliquer la décompensation cardiaque par dysautonomie sur un terrain microangiopathique probable. Les troubles métaboliques et la douleur doivent être systématiquement recherchés et traités durant la période périopératoire dans ce contexte.
Mots clés : Choc cardiogénique, Syndrome dysautonomique, Diabète
Abstract
Metabolic changes of the perioperative period are decompensation factors of cardiovascular diabetic dysautonomy. We report the case of a 55 years old patient, with controlled diabetes who has benefited from an emergent laparotomy under general anesthesia for bowel obstruction. Clinic and biologic findings were normal during pre and perioperative periods. Postoperative analgesia used paracetamol combined with tramadol. On day two follow up the patient presented a sudden respiratory distress with supra ventricular cardiac arrhythmia and negative T waves on lateral left derivations. There were no clinic, biologic or radiographic infectious detectable signs. The echocardiography objectified a global hypo kinesis with a ventricular ejection fraction at 25%, associated to a pulmonary blood pressure at 35mm Hg. Heart cavities were normal. Ultrasensitive troponin, blood-sugar level, D dimers and hemoglobin rate were normal. However, we noticed a hypokalemia at 2,8mEq/L a high level of proBNP more than one hundred above normal. This arrhythmia has progressed to a fatal cardiogenic shock, despite immediate cardio-circulatory resuscitation cares. Hypokalemia and postoperative low level of analgesia represent the factors of decompensation of heart dysautonomy in a microangiopatic field. Metabolic disorders and pain must be systematically investigated and treated during the perioperative period.
Key words : Cardiogenic shock – Diabetic dysautonomy – Post operatory mortality
Introduction
La dysautonomie neuro végétative et les atteintes microangiopathiques de la maladie diabétique sont responsables d’une part de troubles électro physiologiques et d’autre part d’une cardiopathie ischémique d’évolution silencieuse [1,2]. L’anesthésie générale et l’acte chirurgical imposent des contraintes physiologiques à la fonction cardiaque qui majorent ces anomalies fonctionnelles. Elles peuvent être à l’origine d’une nécrose myocardique, voire d’un choc cardiogénique [3,4]. Nous rapportons le cas d’un patient de 55 ans, diabétique équilibré, ayant présenté une défaillance cardiocirculatoire aiguë, secondaire à un syndrome dysautonomique à J2 postopératoire d’une chirurgie abdominale majeure. Le but est de rappeler les facteurs déclenchants du syndrome de dysautonomie cardiaque chez le diabétique en période périopératoire.
Observation médicale
Il s’agissait d’un patient de 55 ans, diabétique noninsulinodépendant, régulièrement suivi depuis 4 ans et traité par l’association Metformine-Glicazide. Il n’avait aucun autre facteur de risque cardiovasculaire et pratiquait une activité physique moyenne et régulière. Ce patient a bénéficié d’une laparotomie médiane en urgence, indiquée devant un syndrome occlusif évoluant depuis 6 heures environ. L’évaluation préopératoire retrouvait un état général conservé avec un indice de masse corporelle à 25 kg/m2, sans signes infectieux cliniquement décelables. L’abdomen était discrètement ballonné, tympanique avec des bruits hydro aériques à l’auscultation. Le bilan biologique réalisé en urgence était sans particularités. La numération formule sanguine montrait une hyperleucocytose modérée à 12 000 globules blancs par mm3 avec un taux d’hémoglobine à 13,5 g.dL-1. La glycémie et la clairance de la créatinine étaient respectivement à 6,1 mmol.L-1 et 110 mL.min-1, sans anomalies électrolytiques au ionogramme sanguin (natrémie = 142 mEq.L-1, kaliémie = 3,6 mEq.L-1). La fonction hépatique montrait des taux de transaminases ALAT et ASAT à 22 et 28 mmol.L-1. Le taux de prothrombine était de 100% et le temps de céphaline activée 30 sec témoin et malade. L’électrocardiogramme était sans anomalies. Le patient a été classé ASA 2 U.
La préparation préopératoire du patient a consisté en une réhydratation hydroélectrolytique à base de ringer lactate (1000 mL en trois heures), associée à une administration continue d’insuline à la seringue électrique et d’une perfusion de glucose 10% (500 mL) sur une voie veineuse séparée. Le monitorage horaire de la glycémie permettait l’adaptation du débit de la seringue d’insuline. Par ailleurs, la mise en place de la sonde nasogastrique (type Salem), pour une aspiration continue douce (-25 mm Hg) de la stase gastrique et de la sonde vésicale pour le monitorage de la diurèse, complétaient la prise en charge préopératoire.
Le monitorage était standard (ECG, fréquence respiratoire, saturation artérielle en oxygène, pression artérielle non invasive et la fraction expirée de CO2). L’anesthésie générale avec induction à séquence rapide et intubation orotrachéale a été la technique choisie. Le propofol et le suxaméthonium étaient les agents d’induction. L’entretien a utilisé le rocuronium, le fentanyl et l’isoflurane. Le diagnostic étiologique du syndrome occlusif était une tumeur du sigmoïde qui a nécessité la réalisation d’une hémicolectomie gauche, suivie d’une anastomose terminoterminale. On a noté une stabilité peropératoire des paramètres respiratoires et hémodynamiques. La durée de l’intervention était de 2 heures 10 minutes. Les pertes sanguines peropératoires étaient de 300 mL environ. Les apports en cristalloïdes (ringer lactate) étaient de 2000 mL.
Le patient a été réveillé et extubé sur table puis transféré en Unité de Soins Intensifs (USI). La surveillance postopératoire était clinique et biologique.
Ainsi, la glycémie capillaire bénéficiait d’une mesure toutes les 4 heures, tandis que le ionogramme sanguin était bi quotidien. L’examen de la numération formule sanguine dépendait de l’évolution des paramètres cliniques. Le traitement postopératoire comportait 2000 mL d’apports hydroélectrolytiques par jour. La prévention de la maladie thromboembolique a utilisé l’énoxaparine à la dose de 0,4 mL sous cutané par jour. L’insulinothérapie à la seringue électrique était poursuivie et l’association paracétamol-tramadol assurait l’analgésie postopératoire.
L’évolution a été marquée par l’apparition brutale d’une détresse respiratoire à type de polypnée à 28 cycles par minutes à J2 postopératoire (H35). On notait également une désaturation artérielle en oxygène à 80%, un flutter auriculaire et une hypotension artérielle à 70 / 45 mm Hg. Sur le plan neurologique, le patient présentait des troubles de la conscience (score de Glasgow 7 sur 15), sans signes de localisation. Il n’y avait aucun signe infectieux cliniquement décelable.
L’électrocardiogramme mettait en évidence un flutter auriculaire et des ondes T négatives sur les dérivations antéro latérales gauches. L’échocardiographie transthoracique (sur un patient en ventilation mécanique) mettait en évidence une hypokinésie globale avec une fraction d’éjection ventriculaire à 25% sans dilatation des cavités cardiaques. Les pressions pulmonaires étaient élevées à 35 mmHg.
Sur le plan biologique, la numération formule sanguine montrait une leucocytose à 11 000 globules blancs par mm3. Le taux d’hémoglobine était à 10,9 g.dL-1. Il n’y avait pas de syndrome inflammatoire biologique (la Protéine-réactive C < 6,74 mmol.L-1). La Pro BNP était augmentée à 100 fois la normale. Les D-Dimères et la troponine Ic étaient normales. L’ionogramme montrait une hypokaliémie à 2,8 mEq.L-1 et la glycémie était à 7,37 mmol.L-1.
La réanimation a consisté en une intubation orotrachéale avec ventilation mécanique et la mise sous noradrénaline à dose progressivement croissante jusqu’à la posologie de 1,5 mg.h1. Le patient a bénéficié de deux cardioversions électriques de 100 et 150 joules chacune. L’Amiodarone en bolus (300 mg), puis en perfusion continue de 600 mg par 24 heures à la seringue électrique a été le traitement antiarhythmique de relais. L’état hémodynamique a évolué vers une dissociation électro mécanique réfractaire aux différents traitements et à l’administration de gluconate de calcium. Le décès est survenu sept heures plus tard, dans un tableau de choc cardiogénique.
Discussion
La neuropathie autonome diabétique peut toucher le système cardiovasculaire, le tractus digestif, le système urogénital, le système sudoral et la motricité pupillaire. Au stade infraclinique, la neuropathie autonome cardiovasculaire survient précocement affectant 10% des diabétiques de type 1 et environ 6% des diabétiques de type 2 récemment diagnostiqués [5,6,7]. La mortalité postopératoire du diabétique est particulièrement liée aux complications cardiovasculaires [8,9]. L’ischémie myocardique est l’évènement le plus fréquemment décrit [10-16]. Notre patient, diabétique de type 2 équilibré, connu depuis 5 ans, qui a bénéficié d’une laparotomie en urgence, décède précocement d’une défaillance cardiaque aiguë sans souffrance myocardique électrique ou biologique. Malgré l’absence d’une symptomatologie clinique et biologique classique, il s’agit d’une évolution compatible avec une complication cardiaque, telle que rapportées par plusieurs auteurs dans le cadre de la chirurgie non cardiaque [17-20]. Les troubles de la repolarisation, ainsi que l’élévation des pressions pulmonaires sont les témoins d’un dysfonctionnement cardiaque. L’évaluation préopératoire ne pouvait être exhaustive compte tenu du contexte de l’urgence. De ce point de vue, la recherche d’une microangiopathie cardiaque préexistante, d’une pathologie valvulaire aortique ou d’une cardiomyopathie n’a pas été possible. Il s’agit de facteurs de décompensation cardiaques potentiels [3,4,17]. Les troubles dysautonomiques, reflet des complications microangiopathiques, doivent être recherchés lors de l’anesthésie pour chirurgie majeure chez un diabétique [21-24].
Cette enquête préopératoire systématique doit être menée, malgré l’absence de signes cliniques évocateurs et d’anomalies électrocardiographiques. L’hypothèse d’une embolie pulmonaire massive est peu probable devant l’absence de dilatation des cavités cardiaques droites à l’échographie cardiaque chez un patient bénéficiant d’une thromboprophylaxie. Les recommandations actuelles préconisent une cinétique de la troponine en postopératoire chez les patients à risque [4,17,25]. Notre patient n’a eu qu’un seul dosage après l’installation de l’état de choc, qui s’est révélé négatif. De par sa spécificité élevée sur l’ischémie et la nécrose myocardiques associée à l’absence de signes électriques d’infarctus, l’hypothèse d’un choc cardiogénique lié à une dysautonomie cardiaque avec troubles du rythme supraventriculaires reste la plus vraisemblable.
Le cas que nous rapportons nous interpelle sur le haut risque cardiovasculaire périopératoire que représente tout patient diabétique. En dehors de l’ischémie myocardique, d’autres évènements peuvent être à l’origine d’une défaillance cardiaque aiguë favorisés par une dysautonomie infra clinique.
Conclusion
La dysautonomie cardiaque peut être à l’origine d’une mort subite chez tout diabétique bénéficiant d’une chirurgie modérée ou majeure. La microangiopathie doit toujours être suspectée lors d’une anesthésie chez le diabétique et une analgésie postopératoire efficace est requise. Il faut systématiquement rechercher les perturbations métaboliques périopératoires par une surveillance clinique et biologique rapprochée. Leur correction doit se faire en temps réel.
Déclaration de liens d’intérêt : les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts
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