MELENA REVELATEUR DE PLASMOCYTOMES GASTRO-INTESTINAUX CHEZ UNE PATIENTE AU DIAGNOSTIC RECENT DE MYELOME MULTIPLE

Marielle Igala1, Geremy Koumbadingue2, Patrice Emery Itoudi Bignoumba3, Sidonie Ogoula2, Léonie Esther Ledaga Lentombo1, Stépahanie Ntsame Ngoua1, Josaphat Iba Ba1, Jean Bruno Boguikouma1

1- Service de médecine interne, Centre Hospitalier Universitaire de Libreville
2-Département d’anatomie pathologie, Université des Sciences de la Santé
3- Service de Gastro-entérologie, Centre Hospitalier Universitaire de Libreville

Auteur correspondant: Marielle IGALA ; marieligalase@yahoo.fr; Bp 14485 Libreville Gabon

Résumé

Le myélome multiple (MM) est une hémopathie maligne de lymphocytes B avec différenciation terminale en plasmocytes caractérisées par des lésions osseuses, une insuffisance rénale, des infections, une anémie, une hypercalcémie et un syndrome d’hyperviscosité. Les plasmocytes malins sont généralement confinés à la moelle osseuse dans le MM. Les plasmocytomes sont des proliférations plasmocytaires qui peuvent être primaires c’est à dire sans signes d’atteinte de la moelle osseuse, ou peuvent survenir en association avec un myélome multiple représentant une propagation extra-médullaire de la maladie. Nous rapportons ce cas d’anémie microcytaire comme première signe d’un myélome multiple avec atteinte du tractus gastroduodénal.

Mots clés : Plasmocytome extramédullaire, gastro-intestinal, Myélome multiple

Abstract
Multiple myeloma (MM) is a malignant disease of terminally differentiated B cells presenting with bone lesions, renal failure, infections, anemia, hypercalcemia, and hyperviscosity syndrome. The malignant plasma cells are usually confined to the bone marrow in MM. Plasmacytomas can be either primary, without signs of bone marrow involvement or may occur in association with multiple myeloma representing extraskeletal spread of the disease. To s how a microcytic anemia as first présentation of a multiple myeloma involved gastroduodenal tractus we report this case.

Key words : extramedullary plasmocytoma, gastrointestinal, multiple myeloma

 

Introduction

Le myélome multiple (MM) est hémopathie maligne liée à une prolifération de plasmocytes tumoraux sécrétant une immunoglobuline monoclonale, caractérisé par des lésions osseuses, une insuffisance rénale, des infections, une anémie, une hypercalcémie et parfois un syndrome d’hyperviscosité. Les plasmocytes malins sont généralement confinés dans la moelle osseuse au cours de la maladie. [1] Les plasmocytomes sont des proliférations de plasmocytes tumoraux monoclonaux qui forment des masses dans l’os ou d’autres organes. Les plasmocytomes peuvent être primaires, sans signes d’atteinte de la moelle osseuse tels que le plasmocytome solitaire des os ou le plasmocytome extramédullaire solitaire, ou peuvent survenir en association avec un myélome multiple représentant la propagation extra-osseuse de la maladie [2,3].

Le plasmocytome extramédullaire (PEM) représente 4% de toutes les tumeurs malignes des plasmocytes. Le plasmocytome extramédullaire survient principalement dans plus de 70% des cas dans le tractus aérodigestif supérieur (nasopharynx, oropharynx, hypopharynx, larynx, trachée et oesophage) répartis dans les voies respiratoires (82,2%) et le tractus gastrointestinale (GI) (moins de 5%). [4,5] Le premier cas de plasmocytome gastro-intestinal avait été décrit en 1966. [5] L’intestin grêle est le site le plus fréquemment atteint, suivi de l’estomac, du côlon et de l’oesophage. [1] Nous rapportons un cas de myélome multiple avec des plasmocytomes gastroduodénaux compliqués de saignements gastro-intestinaux supérieurs se manifestant par la méléna.

 

Observation

Une femme de 52 ans a été admise pour anémie. Elle rapportait présenter depuis environ dix-sept mois une asthénie d’installation progressive. Les hémogrammes réalisés retrouvaient une anémie avoisinant à chaque fois 6 g/dL d’hémoglobine. La patiente a été transfusée d’un total de 7 concentrés érythrocytaires. Au cours de cette même période, elle s’est également plainte de douleurs dorsales à type de striction, non invalidantes, sans horaires fixes qui ont fait nécessiter la réalisation d’une IRM vertébrale qui a mis en évidence des fractures tassements de D9 et D12. Le dosage des marqueurs tumoraux (Ca 125, alpha foeto-protéine) était négatif. Un traitement antalgique et antiinflammatoire a permis la diminution de la douleur.
L’examen à l’admission au service de médecine retrouvait une patiente stable sur le plan hémodynamique avec une perte de poids estimée à 12 kg en 17 mois, un syndrome anémique et hémorragique cutané fait d’hématomes diffus sur l’ensemble du corps et une douleur des épineuses dorso-lombaires.
Le bilan biologique retrouvait un nombre normal de globules blancs à 6 400/ml; hémoglobine 8,3 g/dL microcytaire hypochrome; plaquettes 133 000/ml; vitesse de sédimentation 85 mm/1 h; TP 51%; TCA 35 s; calcium 3,04 mmol/L (normal à 2,15-2,6), acide urique 847 μmol/L, protéine C-réactive 7,2 mg/L, phosphore 1,85 mmol/L (normal à 0,8-1,45 mmol/L), urée 67 mg/dL, créatinine sérique 208 μmol/L, bilirubine 55 μmol/L. Les enzymes hépatiques, les phosphatases alcalines, γGT et lactates déshydrogénases étaient normales. Les sérologies virales VIH,
AgHBs et VHC étaient négatives.
A l’électrophorèse des protéines sériques, des protéines totales à 144 g/L, une albumine à 29,5 g/L et un pic des gamma-globulines d’allure monoclonale de 99,9 g/L. L’immunofixation des protéines sériques retrouvait une immunoglobuline G de type Lambda (IgG Lambda). Au myélogramme l’infiltration plasmocytaire était de 31% compatible avec un diagnostic de myélome multiple. Le bilan a été complété par la réalisation d’une β2-micro-globuline sérique (22,5 mg/ L normal entre 0,8-2,2) une protéinurie de 24 heures (2,08 g/24h).
Le diagnostic de myélome multiple à Ig G Lambda, stade IIIB de DURIE-SALMON, ISS 3 a été retenu.
La patiente a reçu 40 mg/j de dexaméthasone pendant 4 jours en association avec 4 mg d’acide zolédronique pour gérer l’hypercalcémie et limiter la résorption osseuse. Environ quatre jours plus tard, elle a présenté un méléna. L’oeso-gogastro-duodénoscopie réalisée dans l’urgence a révélé de multiples nodules polypoïdes surmontés d’ulcères avec une muqueuse friable, s’étendant du cardia et du corps à l’antre de l’estomac (Figure 1).

Figure 1 : masses nodulaires ulcérées et hémorragiques de la muqueuse gastrique

Quelques petits caillots sanguins étaient présents dans l’estomac mais aucun saignement actif ou vaisseaux visibles n’ont été identifiés et, par conséquent, aucun traitement endoscopique n’a été entrepris. Des biopsies ont été obtenues à partir des lésions dont l’analyse en pathologie a montré une infiltration diffuse par des plasmocytes atypiques (Figure 2). Le complément d’immunohistochimie a montré des cellules CD138 positives avec restriction de chaîne légère lambda, conduisant à un diagnostic anatomo-pathologique de plasmocytome gastro-intestinal.

Figure 2 : Infiltration gastrique par des plasmocytes tumoraux

La patiente a été mise sous inhibiteurs de la pompe à protons injectable double dose et des soins de support généraux, sans aucun signe de saignement récurrent dans les jours suivants. Elle a été traitée par chimiothérapie systémique VAD (vincristine/doxorubicine/dexaméthasone) puis CTD (Cyclophosphamide, Thalidomide, Dexaméthasone). Après 6 mois de traitement alors en réponse partielle elle est décédée d’un sepsis sévère.

 

Discussion

L’atteinte gastro-intestinale au cours du diagnostic initial de myélome multiple est beaucoup plus rare que l’atteinte gastro-intestinale survenant plus tard au cours de la maladie. Elle se développe habituellement chez les patients en rechute après une auto-greffe de cellules souches. [6] En effet, l’atteinte extramédullaire représente 14% des rechutes après transplantation de cellules souches autologues et seules 5% concernent le tractus gastro-intestinal [7].
Cette atteinte au cours du myélome multiple est un signe du caractère agressif de la maladie. Les atteintes extramédullaires étendues du myélome multiple sont généralement mortelles [5].
Chez notre patient, l’anémie a été le premier signe de la maladie, plusieurs transfusions de globules rouges ont été nécessaires pour la contrôler. Par ailleurs le caractère hypochrome de l’anémie aurait dû faire évoquer une spoliation sanguine ou une inflammation qui dans le contexte tumoral est fréquente. La survenue du méléna a fait évoquer divers diagnostics. L’anémie associée au myélome multiple est généralement normocytaire et normochrome et pourrait être liée à la fois au remplacement de la moelle normale par l’expansion clonale des cellules tumorales et à l’inhibition de l’hématopoïèse par des facteurs synthétisés et libérés par la tumeur. De plus, une hémolyse légère pourrait contribuer à l’apparition de l’anémie [8].
Le diagnostic différentiel d’anémie chez un patient atteint de myélome multiple est étendu et multifactoriel et devrait inclure toutes les situations responsables de perte sanguine d’origine gastrointestinale [8].
Divers facteurs sont impliqués dans les saignements gastro-intestinaux supérieurs observés chez les patients myélomateux. Premièrement, la paranéoprotéine altère la fonction des plaquettes et des facteurs de la coagulation, entraînant une tendance accrue aux saignements. L’étiologie la plus courante est l’ulcère gastroduodénal, la gastrite érosive et la duodénite, généralement secondaires au traitement par corticostéroïdes. Les traitements du MM peuvent également augmenter le risque de saignement, y compris de thrombopénie induite par la chimiothérapie, ou l’administration d’aspirine ou d’anticoagulants pour prévenir les complications thromboemboliques associées au Lénalidomide ou à la Thalidomide. De plus, le dépôt de protéines amyloïdes dans le système gastro-intestinal peut provoquer des saignements graves en augmentant la fragilité capillaire [7,9].
La douleur est le signe non spécifique le plus fréquent de la localisation gastro-intestinale, d’autres signes sont rapportés dans la littérature, notamment la diarrhée, les changements dans les habitudes intestinales, les saignements rectaux, l’obstruction du gros intestin et l’invagination [3,4].
Sur le plan endoscopique, les plasmocytomes gastrointestinaux ont des aspects morphologiques variables, notamment des ulcères, des polyposes, des plis épaissis, des masses ulcéreuses et des lésions constrictives [10]. Vu leur localisation gastrointestinale et leur aspect endoscopique, les hypothèses à émettre devant de telles lésions sont des néoplasmes mal différenciés, un lymphome de tissu lymphoïde associé à une muqueuse (MALT), une amyloïdose, un ulcère, les polypes ou un carcinome [5,8].
Sur le plan histologique, une cellule infiltrée de morphologie plasmacytoïde est visible et les cellulestumorales sont positives pour le CD138 [10]. La cytométrie en flux et l’immuno-histo- chimie sont utiles à cet égard [8].
Le traitement du plasmocytome extramédullaire comprend la chirurgie, la radiothérapie et la chimiothérapie. La chirurgie avec résection locale est le traitement préféré pour les plasmocytomes gastrointestinaux primaires [10]. La radiothérapie est administrée à une dose de 40 Gy sur une période de 4 semaines et devrait également être administrée aux ganglions lymphatiques adjacents [8]. Un plasmocytome gastro-intestinal primaire géré par radiothérapie et/ou résection chirurgicale locale a un bon pronostic avec un taux de survie à 15 ans de 78% [4]. La radiothérapie ou la chirurgie ne suffisent pas à elles seules pour traiter les plasmocytomes gastrointestinaux secondaires au myélome multiple. Dans ce cas, la chimiothérapie systémique et la greffe de cellules souches hématopoïétiques jouent un rôle majeur [4,10]. Chez les patients plus jeunes, l’utilisation de médicaments immunomodulateurs avec des agents d’induction en combinaison avec la greffe de cellules souches hématopoïétiques autologues entraîne des taux de rémission et une survie globale plus élevés [4]. Dans le cas de la patiente décrite ici, si le choix du traitement a été porté vers une chimiothérapie en raison du caractère systémique des atteintes, l’absence de réponse au traitement attestait quant à elle du caractère agressif de la maladie.

 

Conclusion

Malgré sa rareté, le plasmocytome extramédullaire gastro-intestinal secondaire est un diagnostic à évoquer et à rechercher devant une hémorragie digestive ou anémie microcytaire chez un patient suivi de myélome multiple.

 

Références

1- Bulent Y, Pembegul G, Ozgur G, et al. Extramedullary relapse of multiple myeloma presenting as massive upper gastrointestinal bleeding: a rare complication. Korean J Intern Med 2015;30:538-9.
2- Telakis E, Tsironi E, Tavoularis G, et al. Gastrointestinal involvement in a patient with multiple myeloma: A case report. Annals Gastroenterology 2009;22(4):287-90.
3- Zihni I, Dinç R, Canpolat S, et al. Extramedullary plasmacytoma of the colon: a case report. Ulusal Cer Derg 2014; 30: 231-3.
4- Ariyarathenam A, Galvin N, Akoh JA. Secondary extramedullary plasmacytoma causing small bowel intussusception in a patient with multiple myeloma – A case report. Int J Surg Case Rep 2013;4(5):486-8.
5- Chi-Chih W, Ming-Hui C, Chun-Che L. A Rare Cause of Gastrointestinal Bleeding. GAstroenterology 2013;145.
6- Talamo G, Cavallo F, Zangari M, et al. Clinical and biological features of multiple myeloma involving the gastrointestinal system. Haematologica/the hematology Journal 2006; 91(7) ; 964-7.
7. Daram SR, Paine ER, Swingley AF. Upper Gastrointestinal Bleeding in a Patient With Multiple Myeloma. GAstroenterology 2012;142.
8. Esfandyari T, Abraham SC, Arora AS. Gastrointestinal plasmacytoma that caused anemia in a patient with multiple myeloma. Gastroenterology and Hepatology 2007 ;4(2) :111-5.
9. Nakajima K, Sueki Y, Koshiishi M, et al. Gastric invasion of multiple myeloma presenting as gastrointestinal bleeding. Int J Hematol 2015 ;101 :525-6.
10. Syal G, Sethi S, Dang S, et al. Rare Synchronous Gastrointestinal Plasmacytomas of Colon and Stomach. ACG Case Reports Journal 2015;1(4):224-6.