CONNECTIVITE MIXTE COMPLIQUEE D’UNE HYPERTENSION ARTERIELLE PULMONAIRE MORTELLE : UN CAS CHEZ LE NOIR AFRICAIN AU GABON

Missounga L¹, Ibaba J¹, J, Ecke Nzengue E², Nziengui Madjinou MIC¹, Boguikouma JB¹, MoussavouKombila JB¹.

¹ Département de Médecine interne et spécialités médicales, Université des sciences de la santé, Faculté de Médecine BP 4009 Libreville, Gabon.

² Service de cardiologie, unité de soins intensifs, Centre Hospitalier Universitaire de Libreville (CHUL), BP 2228 Libreville, Gabon.

Auteur-correspondant : Docteur Missounga Landry

Maître-assistant de Rhumatologie, Département de Médecine interne et spécialités médicales, Université des sciences de la santé, Libreville Gabon.

BP 8696 Libreville, Gabon. Téléphone : (241) 06405060 ; E-mail : lmissounga6@gmail.com

 

RESUME

La connectivite mixte (CM) ou syndrome de Sharp associe des signes d’autres maladies systémiques telles que le lupus érythémateux disséminé, la sclérodermie, la dermatopolymyosite et la présence d’un taux sérique élevé d’anticorps anti-U1RNP. Les séries de CM rapportées dans la littérature concernent principalement des patients caucasiens ou asiatiques. L’objectif de cet article était de décrire un cas de CM chez une patiente noire gabonaise de 52 ans. Elle répondait aux critères de Kasukawa, avec une triade clinique polyarthrite – doigts boudinés – myalgies associée à un taux sérique d’anticorps anti-U1RNP élevé à 17 fois la normale. Sous traitement par Prednisone et Méthotrexate, son évolution était favorable pendant 17 mois jusqu’à la survenue brutale d’une hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) à l’origine de son décès. En conclusion, la connectivite mixte est rare mais elle peut être diagnostiquée chez le sujet noir dans nos régions par la recherche d’anticorps anti-U1-RNP dont la présence isolée dans le groupe d’anticorps anti-ENA est caractéristique de la maladie. L’HTAP est la complication à redouter dès le diagnostic posé. Un scanner thoracique et une échocardiographie sont à réaliser au moindre doute.
Mots clés : connectivite mixte, femme noire, hypertension artérielle pulmonaire.

ABSTRACT

Mixed connective tissue disease (MCTD) or Sharp syndrome associates signs of other systemic diseases such as systemic lupus erythematosus, scleroderma, dermatopolymyositis and the presence of a high serum anti-U1RNP antibody. MCTD series reported in the literature mainly concern Caucasian or Asian patients. The aim of this article was to describe a case of MCTD in a 52-year-old black Gabonese patient. Diagnosis was based on Kasukawa criteria with clinical triad features including arthritis – puffy fingers – myalgia associated with high serum levels of anti-U1RNP antibody raised to 17N. In treatment with Prednisone and Methotrexate, the progression was favorable for 17 months until the sudden onset of pulmonary arterial hypertension at the origin of the death.

In conclusion, MCTD is rare but can be diagnosed in black people of our regions by the research of U1-RNP antibodies whose isolated presence in the group of ENA antibodies is characteristic of the disease. Pulmonary arterial hypertension is the complication to be feared as soon as the diagnosis is made. Thoracic CT scan and cardiac ultrasonography should be performed at the slightest doubt.

Keywords: mixed connective tissue disease, black woman, pulmonary arterial hypertension.

 

INTRODUCTION

La connectivite mixte (CM) anciennement syndrome de Sharp, éponyme de l’auteur de sa description initiale en 1972, est de plus en plus reconnue comme entité à part entière [1]. C’est une maladie du système associant des signes d’autres connectivites telles que le lupus érythémateux disséminé, la sclérodermie, la dermatopolymyosite.
C’est principalement par ses caractéristiques immuno-logiques : présence d’un titre élevé d’anticorps dirigés contre des particules ribonucléoprotéiques intranucléaires riches en uridine (U1-RNP) et association à l’allèle HLA DRB1*04:01 dans le sérum de populations caucasoïdes qu’on lui doit son individualisation longtemps controversée [2-4]. L’atteinte articulaire est souvent au premier plan des manifestations de la maladie, justifiant son intérêt rhumatologique [5].
Si plusieurs observations de la maladie rapportent généralement un pronostic favorable, des études récentes ont montré que certains patients pouvaient présenter des complications viscérales notamment pulmonaires, cardio-vasculaires [6-8] ou digestives [9]. Nous rapportons un cas d’une hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) fatale chez une patiente suivie pour CM en consultations de rhumatologie au Centre Hospitalier Universitaire de Libreville (CHUL) au Gabon.

 

CAS CLINIQUE

Une femme de 52 ans avait consulté en rhumatologie au CHUL pour une polyarthrite récente de six semaines touchant les épaules et les poignets associée à des myalgies brachiales et crurales invalidantes, des doigts boudinés sans phénomène de Raynaud. Biologiquement il y avait : un syndrome inflammatoire (VS 102 mm, CRP 48 mg), une élévation du taux de CPK à 2xN, la présence d’anticorps anti-nucléaires (AAN) de type moucheté, d’anti-antigènes nucléaires solubles (ENA), d’anti-ribonucléoprotéiques intranucléaires (U1-RNP) 17xN respectivement à 1290 UI (N˂80), à 11 UI (N˂1,1) et à 85 UI soit (N˂5). Il n’y avait pas d’autres auto-anticorps suggérant d’autres connectivites. Les radiographies articulaires et thoracique étaient normales. Le diagnostic de CM avait été posé conformément aux critères de Kasukawa [10]. Le traitement initial comprenait une corticothérapie par 40 mg de prednisone par jour, 10 mg de méthotrexate par semaine, associés à la calci-vitaminothérapie D et à l’acide folique. A trois mois du suivi la patiente ne présentait plus que des myalgies des jambes non invalidantes, une régression du syndrome inflammatoire avec VS à 14 mm/mn et CRP à 8 mg/L, un taux de CPK normal à 86 UI/l.

La Prednisone avait alors été diminuée par paliers de 5 mg/mois et le Méthotrexate augmenté à 15 mg/semaine. La patiente était suivie tous les trois mois et restait sans anomalie clinique jusqu’au quinzième mois. Le taux d’anticorps U1-RNP avait baissé à 36 UI soit 5xN justifiant la poursuite du Méthotrexate à 15 mg/semaine et une dose faible de Prednisone à 5 mg/J. A 17 mois du suivi la patiente a présenté une dyspnée rapidement progressive en trois jours, une douleur rétro-sternale et un syndrome d’insuffisance cardiaque droite que l’échographie-doppler avait confirmé avec présence d’une HTAP à 80 mmHg fatale avant qu’on ait pu réaliser l’angioscanner thoracique en soins intensifs.

 

DISCUSSION

La CM est connue depuis plus de quatre décennies. Si des controverses subsistent sur sa définition et sa classification, son pronostic est généralement favorable avec une bonne réponse aux corticoïdes. L’hypothèse d’une pneumopathie d’hypersensibilité au Méthotrexate avait été rapidement récusée devant l’association rapide de signes d’insuffisance cardiaque droite à la dyspnée et l’échocardiographie qui confirmait le diagnostic d’HTAP conformément aux critères ESC/ERS 2015 [11]. Dans la série de la Mayo clinic, 50 cas de CM ont été colligés entre 1985 et 2014 [12]. Les auteurs ne retrouvent pas de différence de mortalité comparée à la population générale. Ces dernières années des études ont rapporté la sévérité des atteintes viscérales de la maladie, bien que peu fréquentes, en particulier cardio-vasculaires (HTAP, tamponnade) et pulmonaires (fibrose pulmonaire) [6, 8, 13]. Dans la série hongroise de 280 cas, la plus grande publiée à ce jour par Hajas A et al, la survie à 5 ans, 10 ans et 15 ans était de 98%, 96% et 88% respectivement. Dans cette série, vingt-deux patients sont décédés et la première cause de décès était une HTAP chez 9 des 22 patients [6]. Gunnarsson R et al. ont rapporté 3 décès parmi les 5 cas d’HTAP retrouvée chez 147 patients suivis en Norvège entre 1996 et 2005 [14].
L’HTAP paraît donc une complication rare mais redoutable au cours de la CM, au point que le décès par HTAP soit considéré comme caractéristique de la maladie dans les critères de Kasukawa [10]. Notre patiente avait une évolution favorable après 15 mois de suivi sous Prednisone et Méthotrexate. Elle ne présentait aucun indice pouvant suggérer une telle complication justifiant la prescription d’une imagerie tomodensi-tométrique et a fortiori d’adopter des mesures préventives. Faut-il faire une évaluation morpho-logique systématique cardiaque ou pulmonaire devant toute CM ? L’équipe norvégienne de Gunnarsson R a évalué l’atteinte pulmonaire chez 126 patients avec CM évoluant depuis 9 ans en moyenne. Dans cette série 52% des patients présentaient une fibrose pulmonaire à laTDM dont une fibrose sévère dans 19% des cas [13]. La mortalité globale dans cette étude était de 7,9%. Elle était de 3,3% chez les patients avec TDM thoracique normale contre 20,8% en cas de fibrose sévère. Les auteurs concluent qu’il paraît légitime de rechercher systématiquement une atteinte pulmonaire par la TDM thoracique en coupes fines chez tout patient souffrant de CM.
Dans notre contexte, il importe d’informer le patient sur les complications viscérales potentielles de la CM notamment l’HTAP, la pneumopathie interstitielle, et la tamponnade, afin de consulter le plus rapidement possible au moindre signe d’alerte à type de dyspnée, douleur thoracique ou syncope.

 

CONCLUSION

La connectivite mixte est rare mais elle peut être diagnostiquée chez le sujet noir dans nos régions par la recherche d’anticorps anti-U1-RNP dont la présence isolée dans le groupe d’anticorps anti-ENA est caractéristique de la maladie. L’HTAP étant la complication à redouter, il convient dans notre contexte africain, de réaliser une TDM thoracique dès le diagnostic posé.

 

REMERCIEMENTS

Au personnel de l’unité des soins intensifs de cardiologie (USIC) du CHUL.

 

CONFLITS D’INTERET

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêt en rapport avec cet article.

 

REFERENCES

1. Sharp GC, Irvin WS, Tan EM, et al. Mixed connective tissue disease. An apparently distinct rheumatic disease syndrome associated with a specific antibody to an extractable nuclear antigen ENA. Am J Med 1972;52:148-59.
2. Gunnarsson R, Hetlevik SO, Lilleby V, Molberg O. Mixed connective tissue disease. Best Pract Res Clin Rheumatol 2016;30:95-111.
3. Flam ST, Gunnarsson R, Garen T. The HLA profile of mixed connective tissue disease differ distinctly
from the profiles of clinicaly related connective tissue diseases. Rheumatology 2015;54:528-35.
4. Maldonado ME, Perez M, Pignac-Kobinger J, et al. clinical and immunologic manifestations of mixed connective tissue disease
in a Miami population compared to a Midwestern US Caucasian population. J Rheumatol 2008;35:429-37.
5. Pepmueller PH. Undifferentiated Connective Tissue Disease, Mixed Connective Tissue Disease, and Overlap Syndromes in Rheumatology.
Mo Med 2016; 113:136-40.
6. Hajas A, Szodoray P, Nakken B, et al. Clinical course, prognosis and causes of death in MCTD. J Rheumatol 2013;40:1134-42.
7. Tani C, Carli L, Vagnani S, et al. The diagnosis and classification of mixed connective tissue disease. J Autoimmun 2014;49:46-9.
8. Arroyo-Avila M, Vilà LM. Cardiac tamponade in a patient with mixed connective tissue disease. J Clin Rheumatol 2015;21:42-5.
9. Lyman D. Spontaneous esophageal perforation in a patient with mixed connective tissue disease.
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10. Kasukawa R, Tojo T, Miyawaki S, et al. mixed connective tissue disease. A preliminary diagnostic criteria. Jap J Rheumatol. 1988;1:263-70.
11. Galié N, Humbert M, Vachery JL, et al. 2015 ESC/ERS Guidelines for the diagnosis and treatment of pulmonary hypertension.
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12. Ungprasert P, Crowson CS, Chowdhary VR, et al. Epidemiology of Mixed Connective Tissue Disease 1985-2014: a population based study.
Arthritis Care Res 2016. doi:10.1002/acr.22872.
13. Gunnarsson R, Aalakken TM, Molberg O, et al. prevalence and severity of interstitial lung disease in Connective Mixed Tissue Disease: a nationwide,
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14. Gunnarsson R, Andreassen K, Molberg O, et al. Prevalence of pulmonary hypertension in an unselected mixed connective tissue disease cohort:
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