FISTULE OBSTETRICALE AU GABON : ASPECTS EPIDEMIOLOGIQUES, CLINIQUES ET THERAPEUTIQUES

Massandé Mouyendi J1, Mougougou A1, Ndang Ngou Milama S2, Mouketou JJ1, Adandé Menest EF1, Gueye SM3

1- Service d’Urologie, Centre Hospitalier Universitaire de Libreville – Gabon
2- Service de chirurgie générale Centre Hospitalier Universitaire d’Angondjé – Gabon
3- Service d’Urologie-Andrologie Hôpital Général de Grand Yoff Dakar-Sénégal.

Correspondance : Dr Adrien MOUGOUGOU ; BP : 16237 Libreville
E-mail : mougougouadrien@yahoo.fr; Tél : (00241) 04893973

 

RESUME

Introduction : La fistule obstétricale (FO) demeure un problème de santé publique dans les pays pauvres. Sa prise en charge requiert un acte chirurgical réparateur avec des taux de guérison variant de 80% à 86% dans la littérature. L’objectif de notre travail était d’étudier les aspects épidémiologiques, cliniques et thérapeutiques de la FO au Gabon.
Patientes et méthodes : Il s’agit d’une étude rétrospective descriptive qui a porté sur 31 patientes opérées pour fistules obstétricales de janvier 2011 à janvier 2016 à Libreville.
Résultats : trente et une patientes ont été inclues. L’âge moyen était de 27,7 ans. La taille moyenne était de 1,46 m. Le statut économique était faible dans 71% des cas. L’accouchement était dystocique dans 96,8% des cas. Cliniquement, il s’agissait d’une fistule simple dans 83,9% des cas. La voie d’abord chirurgicale vaginale était utilisée dans 93,6% des cas. Le taux de succès à 6 mois était de 74,2%.
Conclusion : La FO constitue un problème de santé publique au Gabon mais sa fréquence reste faible. L’accouchement dystocique et le retard à la prise de décision par le personnel soignant prédominent dans la survenue d’une FO chez nos patientes.

Mots clés : Fistule Obstétricale, épidémiologie, clinique, thérapeutique.

ABSTRACT

Introduction: Obstetric fistula (OF) remains a public health problem in poor countries. Its management requires a remedial surgical procedure with cure rates ranging from 80% to 86% in the literature. The objective of our work was to study the epidemiological, clinical and therapeutic aspects of obstetric fistula in Gabon.
Patients and methods: This is a retrospective, descriptive study of 31 patients undergoing obstetric fistula surgery from January 2011 to January 2016 in Libreville.
Results: Thirty-one patients were included. The average age was 27.7 years. The average height was 1.46 m. Economic status was low in 71% of cases. The delivery was dystocia in 96.8% of the cases. Clinically, it was a simple fistula in 83.9% of cases. The surgical vaginal approach was used in 93.6% of cases. The success rate at 6 months was 74.2%.
Conclusion: OF is a public health problem in Gabon although its frequency remains low. Obstetric delivery and delay in decision-making by caregivers predominate in the occurrence of in our patients.

Keywords: Obstetric fistula, epidemiology, clinical, treatment.

 

INTRODUCTION

La fistule obstétricale est une communication anormale entre les voies génitales et urinaires et/ou digestives, entraînant une perte involontaire d’urines et/ou des selles par le vagin. Elle résulte d’un accouchement dystocique, en l’absence de soins obstétricaux appropriés pour y remédier [1]. Cette pathologie est devenue rare en occident mais elle demeure un problème de santé publique dans nos pays pauvres. Les femmes les plus concernées par cet accident obstétrical sont des primipares de petite taille, très jeunes 14-15 ans, pauvres, vivant en ruralité dans des villages éloignés de tout centre hospitalier et n’ayant pas accès aux soins obstétricaux urgents [2]. À travers le monde, mais surtout en Afrique subsaharienne et en Asie, on estime généralement que plus de 2 millions de jeunes femmes vivent avec une FO non soignée, et que 50 à 100 000 nouveaux cas surviennent chaque année [3]. Au Gabon, peu de travaux ont été faits sur cette pathologie. En 1992, Falandry et al., [4] avaient estimé sa prévalence à 0,09%. La prise en charge de ces FO requiert un acte chirurgical réparateur. Les progrès de la chirurgie permettent de pallier le handicap de ces femmes avec des résultats fonctionnels avoisinant 50 à 60% de réussite [4]. Afin de lutter contre cette affection, le fonds des nations unies pour la population (FNUAP) en association avec le Ministère de la Santé avait décidé d’évaluer l’ampleur et la prise en charge des FO au Gabon. Elle avait lancé une campagne de dépistage des femmes fistuleuses dans six (Estuaire, Haut Ogooué, Moyen Ogooué, Ngounié, Woleu Ntem et Ogooué Ivindo) des neuf provinces du Gabon depuis 2011. Les femmes ainsi dépistées étaient référées à Libreville pour une prise en charge chirurgicale.
Le but de notre travail était d’étudier les aspects épidémiologiques, cliniques et thérapeutiques de la fistule obstétricale au Gabon.

 

MATERIELS ET METHODES

Il s’agit d’une étude rétrospective descriptive portant sur 31 patientes opérées pour fistules obstétricalesde janvier 2011 à janvier 2016 au Centre Hospitalier Universitaire de Libreville et au Centre Hospitalier Universitaire d’Angondjé. Les paramètres étudiés étaient l’âge, la taille, la gestité, la parité, le nombre d’enfants vivants, le nombre d’enfants mort nés, le statut scolaire, le statut conjugal, le statut socioéconomique et le lieu de résidence. Le diagnostic de la FO était posé au toucher vaginal et à l’examen sous valve associé à une épreuve au bleu de méthylène. Les fistules étaient dites simples lorsqu’elles étaient situées à la face postérieure de la vessie, à distance du col et des orifices urétéraux et dont la taille était inférieure à 3 cm. En revanche, toutes les fistules de plus de 3cm, celles proches du col et des orifices urétéraux, celles intéressant la région trigono-cervico-urétrale ainsi que la fistule uro-génito-digestive étaient dites complexes.
Deux voies d’abord chirurgical ont été utilisées : la voie vaginale et la voie haute transvésicale. La voievaginale consistait à un dédoublement des parois vaginale et vésicale ou rectale suivi de leur suture séparée. La voie haute avait été pratiquée chez une patiente ayant une fistule vésico-utérine. Il s’agissait d’un dédoublement des parois vésicale et utérine suivi de leur suture séparée.
La saisie et l’analyse des données ont été faites sur les logiciels CSpro (Census and Survey Processing)
version 6.0.

 

RESULTATS

L’âge moyen de nos patientes était de 27,7 ans avec des extrêmes de 14 et 49 ans. La tranche d’âge de 20-29 ans représentait 45,2% des patientes. Cinquante-cinq pour cent des cas avaient un niveau d’étude secondaire. Les célibataires représentaient 96,8% des patientes. Le statut économique était faible dans 71% des cas. Les patientes provenaient du milieu urbain dans 61,3% des cas. (Tableau I)

Tableau I: Données socio-démographiques des femmes atteintes de fistule

Données socio-démographiquesEffectifsPourcentage (%)
Tranches d’âge (ans)
< 20
20-29
30-39
40-49
6
14
9
2
19,4
45,2
29,0
6,4
Niveau scolaire
Primaire
Secondaire
Supérieur
14
17
0
45,2
54,8
0
Statut économique
Faible
Satisfaisant
22
9
71,0
29,0
Statut conjugal
Marié
Célibataire
1
30
3,2
96,8
Lieu de résidence
Rural
Urbain
12
19
38,7
61,3

La durée du travail d’accouchement était supérieure à deux jours dans 71% des cas. Nos patientes avaient accouché par voie basse dans 67,7% des cas. L’accouchement dystocique était observé dans 96,8% des cas. Une patiente multipare avait présenté une fistule vésico-utérine au décours d’une césarienne pratiquée 6 heures après le début du travail d’accouchement.
Le poids moyen des nouveau-nés était de 3623,4 g et 71% avaient un poids supérieur à 3500 g. Les enfants étaient décédés dans 80,6% des cas. La taille moyenne des patientes était de 1,46 m (extrêmes : 1,39 – 1,72 m) et le test de bleu de méthylène était positif chez 96,8% des patientes. Au plan clinique, il s’agissait de fistules simples dans 87,1% des cas. Trois fistules vésico-cervico-urétrovaginales, une fistule urétro-vaginale avec transsection urétrale et une fistule vésicale et recto-vaginale étaient dites complexes (tableau II).

Tableau II: Données épidémiologiques et cliniques

Données épidémiologiques et cliniquesEffectifPourcentage (%)
Durée du travail d’accouchement
˂2 jours
≥ 2jours
9
22
29,0
71,0
Mode d’accouchement
Voie basse
Césarienne
21
10
67,7
32,3
Type d’accouchement
Eutocique
Dystocique
1
30
3,2
96,8
Poids du nouveau-né
≤ 3500
˃3500
9
22
29,0
71,0
Etat du nouveau-né
Vivant
Mort
6
25
19,4
80,6
Type de FO
Simple
Complexe
26
5
83,9
16,1

L’intervention chirurgicale par voie vaginale (basse) a été utilisée dans 93,6% des cas. Deux patientes avaient été opérées par voie abdominale (haute) dont une était pratiquée après une cure par voie basse compliquée d’une insuffisance rénale aigue obstructive consécutive à la ligature bilatérale des uretères. La seconde voie haute était indiquée devant une fistule vésico-utérine. La durée d’hospitalisation était de 30 jours pour toutes nos patientes car venant de l’intérieur du pays, elles attendaient un retour collectif. Le taux de succès à 6 mois était de 74,2%.

 

DISCUSSION

L’âge moyen de survenue de la fistule obstétricale dans notre série est de 27,7 ans avec des extrêmes de 14 et 49 ans. Ce résultat est superposable à ceux de Diallo et al. [5] ainsi que Kimassoum et al. [6] qui ont respectivement rapporté un âge moyen de 25 ans et 26,8 ans et une survenue plus précoce à 12 ans. L’âge précoce de survenue dans ces séries peut s’expliquer par la persistance des pratiques telles que le mariage précoce dans certaines régions africaines. La grossesse précoce étant un facteur de risque majeur de survenue de la FO. Il est différent de celui de Bouya et al., [7] au Congo qui est de 31 ans (17-65 ans). Les auteurs rapportent vraisemblablement l’âge du diagnostic et non l’âge de survenue de la FO.
Dans notre série, 96,8% des femmes sont célibataires. Ce résultat est contradictoire à ceux de Sanou et al [8] à Maroua au Cameroun et Diallo et al [5] en Guinée qui ont respectivement retrouvé 32,1% et 66% de femmes fistuleuses célibataires.
Diallo et al., [5] rapportent par ailleurs que 41,5% des patientes étaient abandonnées par leurs époux. Cependant, cette importante proportion de femmes célibataires de notre série englobe celles qui ont été
abandonnées par leurs conjoints après la survenue de la fistule ainsi que celles qui vivent dans des foyers sans mariage légal.
Dans notre étude, les femmes à faible statut socioéconomique représentent71% des patientes. Selon les données de la littérature [2,5,8], la FO reste l’apanage des zones rurales enclavées et pauvres. Malgré la petite taille de cet échantillon, la concordance avec les grandes séries confirme que la fistule obstétricale est une affection liée à la pauvreté et au sous-développement.
Le gros poids foetal est un facteur prédictif d’une disproportion materno-foetale, responsable d’un accouchement dystocique. Dans notre étude, 71% des nouveau-nés avaient un poids supérieur à 3500g. De plus, la taille moyenne de nos patientes qui était de 1,46 m est un facteur prédictif de survenue d’un accouchement dystocique comme le soulignent Le Duc et al [2].
Nous avons noté que 71 % des patientes ont réalisé un travail d’accouchement supérieur ou égal à 2 jours. Ce résultat est comparable à ceux de Kimassoum et al[6] ainsi que Diallo et al[6], qui ont respectivement retrouvé une durée du travail d’accouchement de 2 à 3 jours chez 69% des patientes et supérieure à 72h chez 74,2 % des femmes porteuses de FO. Harouna et al [9] ont même rapporté une durée moyenne du travail d’accouchement de 4 jours. L’accouchement dystocique retrouvé chez 96,8 % de nos patientes constitue le facteur essentiel dans la survenue de la fistule urogénitale dans notre série comme le montre les données de la littérature [7,8].
Le test au Bleu de Méthylène était positif chez 96,6% des patientes. Le diagnostic avait déjà été posé lors de l’interrogatoire et l’examen physique. Harouna et al., [9]ont retrouvé les mêmes résultats. Quatre-vingt-dix-sept pour cent des fistules enregistrées sont des fistules obstétricales simples. Ces résultats sont comparables à ceux de Gueye et al., [10] au Sénégal ainsi que Anoukoum et al., [11] au Togo qui ont respectivement rapporté 79.8% et 81% des cas de fistules vésico-vaginales dans leurs séries.
Nous avons utilisé la voie vaginale dans 93,6 % des cas. Notre pratique reste conforme aux données de la littérature où l’abord vaginal est le plus couramment utilisé [5,10,11]. Toutes nos patientes ont été hospitalisées pendant 30 jours. Cette durée de séjour à l’hôpital est inférieure à celle de Harouna et al [9] qui ont rapporté 6 mois pour 20% des patientes, inférieure à 1 an pour 45,5% et supérieure à 12 mois pour 34,5% des patientes. Notre durée aurait été moindre car les patientes venant de l’intérieur du pays ont attendu une mise en route collective au départ de l’hôpital.
Notre taux de guérison est de 74,2% des patientes. Il est proche de ceux de Diallo et al [5] en Guinée ainsi que Gueye et al [10] au Sénégal, qui étaient respectivement de 79% et 86 % des cas.
Le pronostic de la chirurgie de la FO est bon même s’il reste lié à la qualité du chirurgien et aux caractéristiques cliniques de la fistule.
En conclusion, la fistule obstétricale constitue un problème de santé publique au Gabon mais sa fréquence reste faible. La pauvreté, l’accouchement dystocique et le retard dans la prise de décision par le personnel de santé constituent des facteurs prédominants dans la survenue de la fistule obstétricale. Les fistules obstétricales simples prédominent au Gabon. La cure chirurgicale par voie vaginale est la plus pratiquée. Le pronostic est bon avec un taux élevé de guérison. La prévention des fistules obstétricales passe par l’éducation des femmes sur leurs facteurs de risque de survenue, la formation et la sensibilisation des personnels de santé ainsi que l’implication des décideurs sur la lutte contre la pauvreté.

BIBLIOGRAPHIE

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7. Bouya PA, Odzebe AWS, Ele N, et al. Les fistules urogenitales: aspects éthiopathogéniques et thérapeutiques au chu de Brazzaville. Mali Medical 2011;26(3);5-7.
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9. Harouna YD, Seibou A, Maikino S, et al. La fistule vésico-vaginale de cause obstétricale. Enquête auprès de 52 femmes admises au village des fistuleuses. Méd Afr Noire 2001;48(2):55-9.
10. Gueye SM, Diagne BA, Mensah A. Les fistules vésico vaginales : aspects étiopathogéniques et thérapeutiques au Sénégal. Med Afr Noire 1992;39(8/9):559-63.
11. Anoukoum T, Attipou KK, Agoda- Koussema LK, et al. Aspects épidémiologiques, étiologiques et thérapeutiques de la fistule obstétricale au Togo. Prog Urol 2010;20:71-6.