Itoudi Bignoumba PE, Maganga Moussavou IF, Eyi Nguema AG, Mbounja M, Nzouto P, Saibou M, Moussavou Kombila JB.
Service d’hépatologie, de gastroentérologie et d’endoscopie digestive – CHU de Libreville
Auteur correspondant : Itoudi Bignoumba PE, E.mail : ibpemery@yahoo.fr, tel 066906639
Résumé
Introduction : La prise en charge de l’hémorragie digestive liée à l’hypertension portale est bien codifiée mais pose un problème de plateau technique dans nos conditions. A l’instar de la prise en charge de l’hémorragie digestive non liée à l’hypertension portale, nous voulions savoir si une prise en charge graduelle sans ligature de varices oesophagiennes était envisageable.
Patients et méthodes : Il s’agit d’une étude transversale rétrospective, menée entre le 30 mai 2016 et le 31 décembre 2018 au service d’hépato-gastro-entérologie du CHU de Libreville. Nous avons inclus les patients cirrhotiques ayant présenté au moins un épisode de rupture de varices oesophagiennes. Nous avons comparé les données pronostiques, thérapeutiques et évolutives des patients ligaturés avec ceux des patients non ligaturés.
Résultats : Il y avait 52 patients ligaturés et 100 patients non ligaturés. L’âge moyen (44 ans et 45 ans soit p=0,83), la prédominance masculine (sex-ratio 1,3 et 1,4 soit p=0,72), la situation sociale (69,2% et 67% de sans emploi soit p=0,87), la gravité de la maladie hépatique (100% Child-Pugh C), la prise en charge pré-endoscopique étaient similaires dans les 2 groupes (p=0,52). Le groupe de patients ligaturés avait des varices oesophagiennes plus grosses et un saignement actif plus fréquent (76,9% contre 14%) de façon statistiquement significative (p<0,01). Le nombre de décès (9,6% et 28%) était statistiquement moins élevé chez les patients ligaturés (p<0,01).
Conclusion : La ligature de varices oesophagiennes est indispensable dans la prise en charge de l’hémorragie digestive liée à l’hypertension portale. L’absence de ligature de varices semblait associer à une surmortalité indépendamment de la taille des varices et du caractère hémorragique per endoscopique.
Mots clés : hémorragie digestive haute, hypertension portale, ligature de varices oesophagiennes
Abstract
Introduction: The management of upper gastrointestinal bleeding associated with portal hypertension is well codified but poses a technical plateau problem in our conditions. Like the management of upper gastrointestinal bleeding not related to portal hypertension, we wanted to know if gradual management without ligation of esophageal varicose veins was possible.
Patients and methods: We performed a retrospective analysis of management of bleeding from esophageal varices in patients with liver cirrhosis between May 30, 2016 and December 31, 2018 in the hepatogastroenterology department of the Libreville University Hospital. We compared the prognostic, therapeutic and evolutionary data of patients with esophageal ligation and without esophageal ligation.
Results: There were 52 patients with esophageal ligation and 100 without esophageal ligation. The average age (44 years and 45 years is p-0.83), the male predominance (sex ratio 1.3 and 1.4 or p-0.72), the social situation (69.2% and 67% of unemployed people, p-0.87), the severity of liver disease (100% Child-Pugh C), preendoscopic management were similar in both groups (p-0.52). The ligatric patient group had larger esophageal varicose veins and more frequent active bleeding (76.9% vs. 14%) statistically significantly (p-0.01). The number of deaths (9.6% and 28%) was statistically lower in ligatured patients (p-0.01).
Conclusion: The ligation of esophageal varicose veins is essential in the management of upper gastrointestinal bleeding associated with portal hypertension. The absence of varicose vein ligation appeared to be associated with excess mortality regardless of varicose vein size and hemorrhagic nature during endoscopy.
Keywords: upper gastrointestinal bleeding, portal hypertension, esophageal varicose vein ligation
Introduction
L’hémorragie digestive haute est une urgence diagnostique et thérapeutique [1,2]. Sa prise en charge est fonction de son étiologie liée ou non à l’hypertension portale [1-5]. Dans l’hémorragie digestive haute sans hypertension portale, la prise en charge peut être graduelle et adaptée au plateau technique [1-6]. Dans l’hémorragie digestive liée à l’hypertension portale, la conférence de Baveno 6 recommande une prise en charge en 2 axes : les mesures générales initiales de réanimation avec une politique restrictive de transfusion, une antibioprophylaxie, les analogues de la somatostatine et la thérapie endoscopique basée sur la ligature des varices oesophagiennes (LVO) [1,2]. Ces recommandations sont difficilement applicables dans nos pays au plateau technique limité [4,7]. L’absence de recommandation de prise en charge graduelle tenant compte du plateau technique et l’absence récurrente des kits de LVO dans notre hôpital, nous ont conduit à évaluer l’évolution des patients ayant présenté une hémorragie digestive liée à l’hypertension portale en fonction de l’accès ou non à la LVO. Le but de ce travail était de déterminer l’évolution des patients ayant présenté une hémorragie digestive liée à l’hypertension portale en fonction de leur accès à la LVO.
Patients et méthodes
Nous avons réalisé une étude transversale rétrospective entre le 30 mai 2016 et le 31 décembre 2018 au service d’hépato-gastro-entérologie du CHU de Libreville. Les patients cirrhotiques ayant présenté au moins 1 épisode d’hémorragie digestive par RVO avaient été inclus. Nous avons exclu les patients ayant présenté une hémorragie digestive secondaire à un autre mécanisme que la RVO. Les patients étaient repartis en 2 groupes, un groupe de patients ligaturés et un groupe de patients non ligaturés. Nous avons comparé les données démographiques, sociales, pronostiques, thérapeutiques et évolutives des 2 groupes. Les données ont été colligées sur des fiches standardisées.
L’analyse statistique a été réalisée par le logiciel SPSS20.0. Le critère principal de jugement le taux de mortalité des patients pris en charge. Les variables qualitatives étaient exprimées en pourcentage et les variables quantitatives en moyenne. La comparaison des variables quantitatives a été réalisée à l’aide des tests non paramétriques et celle des variables qualitatives avec le Chi carré ou le test de Fisher. Ces tests étaient considérés comme statistiquement significatifs pour une valeur de p inférieure ou égale à 0,05.
Résultats
Comme le montre le diagramme de flux ci-dessous, pendant la période d’études nous avons enregistré 422 patients ayant présenté une hémorragie digestive haute (HDH). Parmi eux, 152 patients avaient une hémorragie digestive par RVO soit 36%. Ils constituaient notre échantillon. La LVO avait été réalisée chez 52 patients, ceux-ci constituaient le groupe de patients ligaturés. Elle n’avait pas été réalisée chez 100 patients, ceux-là constituaient le groupe des patients non ligaturés.
Figure 1 : diagramme de flux de sélection des patients
Le tableau I montre les caractéristiques des 2 groupes de patients. L’âge moyen était similaire (44 ans et 45 ans). La prédominance masculine était identique dans les 2 groupes (1,3 et 1,4). La situation sociale définie par une absence d’activité professionnelle était similaire (69,2% et 67%). La gravité de la maladie hépatique sous-jacente définie par un score pronostic Child-Pugh C était de 100% dans les 2 groupes. Les patients ligaturés avaient des varices oesophagiennes de plus gros volume que ceux du groupe de patients non ligaturés. Cette différence était statistiquement significative (p<0,001). Un saignement actif était plus fréquemment retrouvé dans le groupe de patients ligaturés (76,9% contre 14%) avec une différence statistiquement significative (p<0,001). La prise en charge médicamenteuse était similaire dans les 2 groupes. L’hospitalisation en soins intensifs avait été réalisée chez 1,9% pour les patients ligaturés contre 5% pour les patients non ligaturés. Les analogues de la somatostatine avaient été utilisés chez respectivement 1,9% et 3% des patients. L’antibioprophylaxie était de 100% dans le groupe de patients ligaturés et de 94% dans le groupe de patients non ligaturés. L’usage des bétabloquants était respectivement de 100% et 98%. Il y a eu 9,6% de décès dans le groupe de patients ligaturés contre 28% dans le groupe de patients non ligaturés. Cette différence était statistiquement significative (p<0,001).
Tableau I : caractéristiques sociodémographiques, pronostiques, thérapeutiques et évolutives des patients
Discussion
L’hémorragie digestive par RVO, dans notre contexte, touche l’adulte jeune (44 – 45 ans), de sexe masculin sans emploi. Cette observation est conforme aux données de la littérature africaine [6-9]. C’est une urgence diagnostique et thérapeutique dont la prise en charge est bien codifiée [2,4,5,10]. Elle associe 5 piliers que sont l’hospitalisation en soins intensifs, l’antibioprophylaxie, la restriction transfusionnelle, les analogues de la somatostatine et la LVO [2,4,5,10]. Dans notre série, la faible proportion de patients ayant séjourné en soins intensifs (1,9% et 5%) souligne la difficulté de prise en charge de cette affection dans notre contexte. Ce manquement est le fait de l’existence d’une seule unité de réanimation polyvalente à capacités limitées, qui doit répondre aux sollicitations diverses notamment obstétricales, chirurgicales et pédiatriques. La création de petites unités de soins intensifs spécialisées pourrait permettre de pallier à cette difficulté [2,4,5]. Les analogues de la somatostatine étaient peu utilisés comme dans plusieurs études africaines [3,6-9]. Cette situation était le fait de leur absence dans la pharmacie de l’hôpital et de leur coût élevé en officine. Les bétabloquants, avaient été utilisés chez respectivement 100% et 98% des patients ligaturés et non ligaturés. Cet usage élevé des bétabloquants pourrait s’expliquer à la fois par la rareté des contreindications au sein d’une population jeune, mais aussi par la nécessité d’une introduction précoce du fait de l’indisponibilité fréquente des analogues de la somatostatine [3,6-9]. L’antibioprophylaxie semblait être la recommandation la mieux exécutée probablement à cause de son accessibilité aisée [2,4-6,10]. Alors que la gravité de la maladie hépatique sous-jacente était identique dans les 2 groupes, que la rareté de prise en charge de réanimation étaient similaires, les varices oesophagiennes étaient de plus petite taille et le saignement actif était plus rare dans le groupe de patients non ligaturés, le nombre de décès était plus important (28%) dans le groupe de patients non ligaturés. Cette observation suggère que la taille des varices oesophagiennes et le caractère actif du saignement au moment de l’endoscopie, influencent moins le pronostic que la prise en charge endoscopique par la LVO [1,2,5]. Cela place la LVO comme dispositif central de la prise en charge de l’hémorragie digestive liée à l’hypertension portale.
Conclusion
La LVO est une technique incontournable dans la prise en charge de l’hémorragie digestive liée à l’hypertension portale au CHU de Libreville. Contrairement à l’hémorragie digestive haute non liée à l’hypertension portale, une stratégie de prise en charge graduelle n’est pas envisageable dans l’hémorragie par rupture de varices oesophagiennes.
Références
Guideline. Endosc Int Open 2018;6(10):E1256-E1263.
2. Cárdenas A, Fernández-Simon A, Escorcell A. Endoscopic band ligation and esophageal stents for acute variceal bleeding. Clin Liver Dis 2014;18(4):793-808.
3. De Franchis R, Baveno VI Faculty. Expanding consensus in portal hypertension: report of the Baveno VI Consensus Workshop: stratifying risk and individualizing care for portal hypertension. J Hepatol 2015;63:743–52
4. Bassène ML, Diouf ML, Dia D, et al. La ligature élastique des varices oesophagiennes à Dakar (Sénégal). Med Santé Trop 2012 ;22(2) :166-9
5. Angeli P, Bernardi M, Villanueva C, et al. EASL Clinical Practice Guidelines for the management of patients with decompensated cirrhosis. J Hepatol 2018;69-(2):406-60.
6. Marika Rudler. Prise en charge de la rupture de varices oesophagiennes. POST’U 2019 ; 143-50.
8. Sombié R, Tiendrébéogo A, Guingané A, et al. Hémorragie digestive haute : aspects épidémiologiques et facteurs pronostiques au Burkina Faso (Afrique de l’ouest). J Afr Hepatol Gastroenterol 2015;9:154-9.
9. Gaudong Mbethe GL, Mounguengui D, M. Ondounda et al. Profil épidémiologique des hémorragies digestives hautes au Gabon. Med Santé Trop 2014;24:441-3.
10. El Mekkaoui A, Mellouki I, Berraho MA, et al. Epidémiologie, étiologie et évolution des hémorragies digestives hautes au centre hospitalier universitaire de Fès, Maroc. Acta Endosc 2011;41:337–43.
11. Garcia-Tsao G, Bosch J. Varices and variceal hemorrhage in cirrhosis: a new view of an old problem. Clin Gastroenterol Hepatol 2015;13(12):2109-17.