LA RAGE HUMAINE REVISITEE : A PROPOS D’UN CAS AU CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE LIBREVILLE

Ngomas JF1, Nze Obiang PC2, Ifoudji Makao A1, N’Dilimabaka N3, Manga F1, Lekana Douki S3, Essola L1, Sima Zue A1
1- Centre Hospitalier Universitaire de Libreville
2- Centre Hospitalier Universitaire Mère Enfant Fondation Jeanne Ebori
3- Centre Interdisciplinaire de Recherches Médicales de Franceville

Auteur correspondant : Dr Ngomas Jean Félix : Anesthésiste Réanimateur, Maître-Assistant ; e-mail : ngomasjf@yahoo.fr ; BP 1976 ; Tel +24166854878/66008058

Résumé

Introduction. La rage est une anthropozoonose d’origine virale qui sévit sur tous les continents à l’exception de l’Antarctique. Elle est à prévention vaccinale mais toujours mortelle dès l’apparition des premiers signes. L’OMS rapporte 59000 décès par an dans le monde dont 36,4% en Afrique. Mais cette mortalité est sous-estimée. L’objectif de ce cas est de rapporter un aspect clinique et évolutif de cette affection.

Observation. Un enfant de 7 ans a été mordu par un chien errant huit semaines auparavant. Il n’avait pas reçu de prévention vaccinale antirabique. Il a été admis à l’Unité de Soins Intensifs dans un tableau de méningoencéphalite. L’écouvillonnage des sécrétions salivaires a conduit à l’identification par PCR d’un Lyssavirus apparenté au virus rabique. Le patient est décédé après de 18 jours d’hospitalisation.

Conclusion. La rage reste présente au Gabon probablement du fait de la présence des chiens errants, mais aussi de la cherté et la rareté du vaccin antirabique dans les officines, limitant ainsi les mesures préventives

Mots clés : Méningo-encéphalite, chien errant, Lyssavirus, Libreville.

Summary

Introduction. Rabies is an anthropozoonosis of viral origin which is present in all continents except Antarctica. It is a vaccine-preventable but still fatal disease upon the onset of the first symptoms. The WHO reports 59,000 deaths per year worldwide of which 36.4% occur in Africa. Yet this mortality is underestimated. The objective of this case is to report a clinical and progressive aspect of this disease

Observation. A 7-year-old was bitten by a stray dog eight weeks ago. He has not received preventive vaccine treatment. He was admitted in the Intensive Care Unit with a meningoencephalitis. Swabbing of salivary secretions allowed the identification by PCR of a Lyssavirus related to the rabies virus. He died after 18 days of hospitalization

Conclusion. Rabies still occurs in Gabon probably due to the presence of stray dogs, but also to the high cost and rarity of rabies vaccines in pharmacies, thus limiting preventive measures.

Key words: Meningoencephalitis, stray dog, Lyssavirus, Libreville.

 

Introduction

La rage est une zoonose tropicale d’origine virale accidentellement transmise à l’homme, réputée contagieuse, à prévention vaccinale et à déclaration obligatoire [1]. Elle est responsable d’une encéphalite aiguë presque toujours mortelle dès l’apparition des signes cliniques [2,3]. Les cas recensés chez l’homme sont à 99% transmis par la salive des chiens domestiques en cas de morsure ou d’égratignure [1]. La rage est présente sur tous les continents sauf l’Antarctique, mais plus de 95% des cas humains surviennent en Asie et en Afrique [1]. Le diagnostic de certitude repose sur l’identification par un test virologique, dont la réalisation reste hypothétique dans nos régions. Bien que rare, cette affection doit toujours nous interpeller et imposer une prévention vaccinale devant toute morsure de chiens, garant de la survie du patient. C’est l’objectif du cas que nous rapportons d’un enfant admis à l’Unité de Soins Intensifs (USI) du Centre Hospitalier Universitaire de Libreville (CHUL).

 

Observation

L’enfant IG, âgé de 7 ans, de sexe masculin, sans antécédent médicochirurgical particulier, a été admis à USI du CHUL le 13/05/2019 pour prise en charge d’un état d’agitation psychomotrice évoluant dans un contexte fébrile. Il a été référé du service des Urgences Pédiatriques du même hôpital où il a séjourné pendant 48h pour le même motif associé à des vomissements incoercibles apparus trois jours auparavant. L’interrogatoire des proches a retrouvé une notion de griffure au niveau du genou gauche causée par un chien, huit semaines avant l’apparition des signes. Aucun traitement préventif ne lui avait été administré. L’examen physique a objectivé une plaie en voie de cicatrisation au niveau de la face interne du genou gauche, une aérophobie, une agitation psychomotrice et des spasmes musculaires lors des stimulations auditives et nociceptives. Par ailleurs, on notait une fièvre à 38,5°C, une raideur de la nuque et un score de Glasgow à 12/15 sans atteinte de nerfs crâniens. Le bilan biologique a révélé une goutte épaisse négative et une glycémie à 2,7mmol/L. La numération formule sanguine a montré une hyperleucocytose à 18500/mm3, un taux d’hémoglobine à 13,8g/dL et des plaquettes à 418000/mm3. La ponction lombaire a ramené un liquide céphalorachidien eau de roche dont l’analyse a révélé à la cytologie 3 leucocytes/mm3, 100% lymphocytaire; 2 hématies/mm3 ; et à la chimie, une protéinorrachie à 0,75g/L, une chlorurorrachie à 115 meq/L et une glycorrachie à 4,4 mmol/L. La culture bactériologique était stérile. Nous avons retenu, par défaut, le diagnostic d’une méningite à liquide céphalorachidien clair. La prise en charge médicale initiale a consisté en une antibiothérapie à base de ceftriaxone, un antiviral notamment de l’aciclovir et des apports hydro-électrolytiques avec correction de l’hypoglycémie. L’évolution a été marquée à J7 d’hospitalisation par l’apparition d’une hydrophobie, une persistance du trouble de la conscience et une hypersialorrhée entrainant des lésions hypochromiques au contact de la peau. Les prélèvements des sécrétions salivaires à l’aide d’écouvillons Dacron stériles ont été réalisés. Ils ont été ensuite acheminés au Centre International de Recherches Médicales de Franceville (CIRMF) où l’examen virologique par biologie moléculaire (amplification de polymérisation en chaîne seminichée), a permis d’identifier après séquençage un Lyssavirus apparenté au virus rabique. Nous avons ainsi retenu le diagnostic de rage spastique dite rage furieuse devant les arguments épidémio-cliniques que sont l’exposition au risque rabique, le tableau d’encéphalite et les résultats de la biologie moléculaire. Le patient est décédé à J18 d’hospitalisation des suites d’un arrêt cardiorespiratoire.

 

Discussion

La rage est une anthropozoonose accidentellement humaine causée par le virus rabique [1,4,5]. Le virus de la rage appartient à l’ordre des Mononegavirales, famille des Rhabdoviridae, genre Lyssavirus [4-6]. Elle est transmise par contamination de l’animal à l’homme par la salive, les morsures, les griffures, le léchage sur peau excoriée des animaux infectés. Elle est responsable d’une encéphalomyélite aiguë mortelle avec près de 59000 décès par an dans le monde [1,3]. Notre observation a rapporté le cas d’un enfant de sexe masculin âgé de 7ans. Dans la littérature, les enfants de sexe masculin et de la tranche d’âge de 5 à 15 ans sont les plus touchés [1,4]. La notion d’une égratignure causée par la griffure d’un chien dans l’histoire de la maladie et confirmée par la présence d’une plaie en voie de cicatrisation a permis d’évoquer le diagnostic de rage. D’après Aubry et al, la transmission du virus rabique par les chiens est responsable de 99% des cas de rage humaine dans les régions où cette maladie est endémique notamment les pays en développement d’Asie, d’Afrique et d’Amérique du sud [5]. Dans notre cas, la présence d’un syndrome méningé, de l’altération de l’état de conscience et du syndrome infectieux ont motivé la prise en charge d’une méningo-encéphalite car malgré la présence de l’hydrophobie ou l’aérophobie, le diagnostic de rage peut être cliniquement difficile à la phase initiale de la maladie. Il peut donc s’écouler quelques jours entre l’admission du malade, la suspicion de rage, et le diagnostic biologique. En revanche, une fois les premiers signes d’encéphalite rabique déclarés, aucun traitement ne permet une guérison et la presque totalité des patients décède [2-5,8]. L’interrogatoire de l’entourage est rapporté dans plusieurs études comme étant l’élément clé permettant de circonscrire la recherche étiologique [7,9-11]. Le virus de la rage est présent dans la salive du chien en fin de maladie. La transmission survient le plus souvent après la morsure, griffure, léchage sur peau excoriée ou sur une muqueuse. La contamination d’homme à homme est exceptionnelle au cours d’une transplantation d’organes, ou transmission de la mère au foetus. La durée d’incubation du virus dans ce cas est de 8 semaines, ce qui correspond aux données de littérature qui rapportent un intervalle de 1 à 3 mois. Toutefois, la phase d’incubation de la maladie est en générale silencieuse pour une durée allant de 1 à 6 mois avec une moyenne de 45 jours et des extrêmes de 5 jours à plusieurs années [1]. Elle est d’autant plus courte que la concentration d’inoculum est importante, que la densité des fibres musculaires intéressée est importante et que la plaie est proche du système nerveux central [1,8]. La rage spastique dite forme furieuse est la forme clinique retrouvée dans notre observation marquée par la survenue d’une agitation psychomotrice, d’une aérophobie, d’une hydrophobie et des vomissements. Cette présentation clinique a été rapportée dans d’autres études [8-10]. Cependant, certains auteurs rapportent la forme paralytique qui est une forme inhabituelle pouvant faire errer le diagnostic en l’absence de l’hydrophobie et l’aérophobie, et majorer le risque d’exposition de l’entourage familial et du personnel soignant [1,8,12]. Le diagnostic étiologique, a été établi par la recherche de l’ARN viral au moyen de la RT-PCR réalisée sur des échantillons de salives prélevés selon une des techniques recommandées par l’OMS [1]. Il a été possible après une semaine d’errements, grâce à la collaboration avec le Centre International de Recherches Médicales de Franceville (CIRMF), distant de 727 km de Libreville. De nombreuses études n’ont pas pu conforter le diagnostic virologique par manque de structure de référence. Dans une observation faite au Sénégal, le diagnostic était fait en post mortem par immunofluorescence sur biopsie de tissu cérébral qui est la technique diagnostique de référence [11]. Le décès est survenu à la troisième semaine après l’apparition des signes cliniques. Plusieurs auteurs ont majoritairement rapporté des délais plus courts de 4 à 10 jours [7,9,11]. Le fait que le virus retrouvé soit apparenté au virus rabique, serait probablement une des explications.

 

Conclusion

La rage se traduit par une encéphalo-myélite par propagation du virus de type rabique. La notion de contact avec un chien suspect de rage reste la clef du diagnostic. L’hydrophobie et l’aérophobie bien que non constants permettent d’orienter le diagnostic. Le diagnostic de certitude nécessite la disponibilité d’un laboratoire de haute technicité. L’évolution après le diagnostic est mortelle. Une sensibilisation axée sur l’éradication des foyers de transmissions et les mesures préventives telles que la diminution du nombre de chiens errants dans la ville ainsi que la vaccination antirabique des sujets contacts, s’avèrent indispensables.

 

Références

1. WHO Expert Consultation on Rabies, third report. WHO Technical Series Report No. 1012. Geneva, 2018. IBSN978-92-121021-8.
2. Hampson K, Coudeville L, Lembo T et al. Estimating the Global Burden of Endemic. Canine Rabies. Trop Dis 2015;9(5):e0003786.
3. Hemachudha T, Ugolini G, Wacharapluesadee et al. Human rabies: neuropathogenesis, diagnosis, and management. Lancet Neurol. 2013;12(5):498–513.
4. Fooks AR, Banyard AC, Horton DL et al. Current status of rabies and prospects for elimination. Lancet. 2014;384(9951):1389–99.
5. Aubry P, Bernard-Alex Gauzere. Rage, Actualités 2020. Médecine tropicale. Mise à jour le 27/05/2020 www.medecinetropicale.com. Consulté le 29/11/2020
6. Amarasinghe GK, Bao Y, Basler CF et al. Taxonomy of the order Mononegavirales: update 2017. Arch Virol 2017;162(8):2493–504.
7. Diop SA, Dia NM, Fortes–Deguénonvo L et al. La rage humaine, un diagnostic parfois difficile. Med Trop. 2011;71:77–8.
8. Rupprecht CE, Hemachudha T. Rabies. In: Scheld WM, Whitley RJ, Marra CM. Infections of the central nervous system. 4th Ed. Philadelphia; Lippincott, Williams & Wilkins; 2004:204–9.
9. Harouna AML, Doutchi M, Abdoulaye O, et al. Rage Furieuse au Centre Hospitalier de Maradi : A propos d’un cas. Health Sci Dis. 2018;19(3):83–5.
10. Savadogo M, Bousha MB. La rage chez l’enfant : un risque encore méconnu des populations exposées. Médecine et santé tropicale. 2015;25(2):222–4
11. Diop SA, Manga NM, Dia NM et al. Le point sur la rage humaine au Sénégal de 1986 à 2005. Médecine et maladies infectieuses. 2007;37
(12):787–91.
12. Hemachudha T, Laothamatos J, Rupprecht CE. Human rabies: a disease of complex neuropathogenic mechanisms and diagnostic
challenges. Lancet Neurol 2002;1(2):101–9.