Ngomas JF, Soami V, Nze Obiang PC, Ifoudji Makao A, Manga F, Essola L, Sima Zué A.
Unité de Soins Intensifs, Centre Hospitalier Universitaire de Libreville (CHUL), Gabon
Auteur correspondant : Ngomas JF, e-mail : ngomasjf@yahoo.fr
Résumé :
La rachianesthésie ou anesthésie spinale est une technique anesthésique qui consiste à injecter un anesthésique local dans l’espace sous arachnoïdien, au contact des nerfs rachidiens et de la moelle épinière. Elle représente près de 14,7% des anesthésies en Afrique subsaharienne et environ 30% des techniques d’anesthésie locorégionale en France. Elle peut être à l’origine de complications gênantes voire invalidantes. Les auteurs rapportent ici un cas de complication double survenue après une césarienne réalisée sous rachianesthésie dans un contexte de prééclampsie sévère chez une patiente de 29 ans. Il s’agit d’une méningite bactérienne et d’un hématome médullaire épidural. Une antibiothérapie par céphalosporine de 3e génération ainsi qu’une laminectomie avec vidange de l’hématome ont permis une évolution favorable. Les complications de la rachianesthésie sont rares mais peuvent être graves. Leur prévention passe par le respect rigoureux des règles d’asepsie et des contre-indications.
Mots-clés : prééclampsie, césarienne, rachianesthésie, méningite, hématome médullaire épidural.
Abstract:
Spinal anesthesia is a technique based on the injection of a local anesthesic in the subarachnoid space, both in contact with the spinal nerves and the spinal cord. It is about 14.7% of anesthesia in sub-saharan Africa and 30% of locoregional anesthesia in France. It can be the cause of annoying or even disabling complications. The authors report a case of a double complication after cesarean section performed under spinal anesthesia in a context of severe preeclampsia in a 29-year-old patient. It is a bacterial meningitis and a spinal epidural hematoma. A third generation cephalosporin antibiotic therapy as well as a laminectomy emptying the hematoma resulted in a favorable outcome. Though seldom, spinal anesthesia complications can at times be serious. Their prevention is made possible through the strict respect of the rules of asepsis and contraindications.
Keywords : preeclampsia, caesarean, spinal anesthesia, meningitis, spinal epidural hematoma.
Introduction
La rachianesthésie ou anesthésie spinale consiste à injecter un anesthésique local dans l’espace sous arachnoïdien, au contact des nerfs rachidiens et de la moelle épinière. Le reflux du liquide céphalorachidien (LCR) permet de localiser précisément l’espace sous arachnoïdien [1]. Cette technique est pratiquée pour près de 14,7% des anesthésies en Afrique subsaharienne [2] et près de 30% des anesthésies locorégionales en France [3].La réalisation de la rachianesthésie en pratique clinique obéit à des recommandations précises édictées par les conférences d’experts [4]. En dépit du respect de celles-ci, certaines complications sont rencontrées. Au Gabon, dans une série de césariennes effectuées sous rachianesthésie, Sima Zué et al ont rapporté 7,7% de céphalées et un cas de méningite bactérienne dont l’issue a été fatale [5, 6]. Les auteurs rapportent ici une double complication ayant modifié les suites opératoires d’une césarienne réalisée sous rachianesthésie dans un contexte de prééclampsie sévère. Observation Madame MMA, âgée de 29ans, a été admise à l’unité de soins intensifs (USI) pour agitation psychomotrice avec deux épisodes de crises convulsives tonico-cloniques généralisées, céphalées persistantes, fièvre et monoparésie du membre inférieur gauche. Elle était à J3 postopératoire d’une césarienne effectuée sous rachianesthésie, dans un contexte de prééclampsie sévère. A J1 postopératoire elle se plaignait déjà de céphalées intenses, en casque, rebelles aux antalgiques usuels et d’une monoparésie du membre inférieur gauche d’aggravation progressive. Dans ses antécédents on notait une césarienne réalisée sous rachianesthésie, six gestités, deux parités, deux enfants vivants et quatre avortements. A l’admission, la patiente était consciente mais agitée. Elle se plaignait de céphalées avec photophobie. La nuque était raide. La tension artérielle était à 165/95mmHg et la fréquence cardiaque à 96 battements/min. La température était à 38,5°C.L’examen du membre inférieur gauche avait retrouvé une hypotonie avec un testing musculaire à 2/5 associée à une perte de la sensibilité profonde et superficielle. Le bilan biologique effectué après la césarienne montrait des globules blancs à 16100/mm3avec 80% de polynucléaires neutrophiles et des anomalies associant un taux d’hémoglobine à 6,4g/dL, des plaquettes à 97000/mm3 et une cytolyse hépatique avec des ASAT à 165 UI/L et des ALAT à 82 UI/L. Ces anomalies évoquaient le HELLP syndrome. La goutte épaisse était négative. Les céphalées, la raideur de la nuque et l’hyperleucocytose étaient évocatrices d’une méningite. La monoparésie du membre inférieur gauche orientait vers une compression médullaire. La ponction lombaire permettant de confirmer la méningite n’avait pas pu être réalisée car contre-indiquée par la monoparésie du membre inférieur d’une part et par la thrombopénie d’autre part. L’hémoculture était stérile. La tomodensitométrie (TDM) cérébrale était sans particularité. L’imagerie par résonnance magnétique (IRM) lombaire réalisée le lendemain avait mis en évidence un hématome épidural rachidien de 17 x 8mm avec effet de masse sur le cône médullaire en regard du disque L1-L2 (images 1 et 2).
Sur le plan thérapeutique, la patiente a reçu un traitement anticonvulsivant à base de sulfate de magnésium intraveineux selon le protocole suivant : 4g en dose de charge et 1,5g/h en dose d’entretien au moyen de la seringue auto-pousseuse. Le traitement antihypertenseur était assuré par l’alpha méthyldopa par voie orale à la dose de 500mg toutes les huit heures. S’agissant de la méningite, la patiente a bénéficié d’une antibiothérapie empirique à base de ceftriaxone administrée par voie intraveineuse à raison de 4g/j. Pour lutter contre les céphalées une analgésie a été réalisée parl’association de paracétamol et de néfopam en perfusion intraveineuse à raison de 1g et 20mg respectivement toutes les six heures. La correction de l’anémie et de la thrombopénie a été assurée par la transfusion de deux culots globulaires et deux concentrés plaquettaires. S’agissant de la compression médullaire, une laminectomie de décompression avec vidange de l’hématome a été réalisée sous anesthésie générale avec intubation orotrachéale, cinq jours après la césarienne. L’évolution à J4 post-laminectomie était marquée par la disparition des syndromes méningé et infectieux et par une récupération partielle de la force musculaire du membre inférieur gauche cotée à 3/5. Après 14 jours d’hospitalisation à l’USI, la patiente a été transférée en maternité. La poursuite des séances de rééducation fonctionnelle a été prescrite pour une bonne prise en charge.
Discussion
La rachianesthésie est réputée être simple, donc facile à réaliser, ce qui en fait la technique anesthésique la plus utilisée après l’anesthésie générale. Elle est cependant pourvoyeuse de nombreuses complications dont certaines peuvent s’avérer graves et engager le pronostic fonctionnel ou vital. Les complications graves survenant après une rachianesthésie rapportées dans la littérature se présentent toujours seules. Nous présentons ici une double complication grave d’une rachianesthésie non encore rapportée au Gabon. Il s’agit d’une méningite et d’un hématome médullaire épidural. Le diagnostic de méningite a été posé sur la base des arguments anamnestiques et cliniques à savoir les céphalées persistantes avec photophobie,l’état d’agitation, les convulsions, la raideur de nuque et la fièvre. La ponction lombaire n’ayant pas été faite, l’hémoculture étant stérile, quelle était donc l’origine de la méningite après la césarienne chez cette patiente? La méningite est une complication infectieuse rare mais grave de la rachianesthésie. Son incidence est inférieure à 4,5 cas/100 000 rachianesthésies [7]. En Afrique sub-saharienne, l’incidence des méningites compliquant la rachianesthésie est mal connue. Dans un service de maladies infectieuses en Algérie, une épidémie de 19 cas de méningites bactériennes sur 100 rachianesthésies a été rapportée. Le germe en cause était le Serratia marcescens, une entérobactérie à l’origine d’une multitude d’infections et d’épidémies nosocomiales [7].Le syndrome méningé fébrile se manifeste souvent immédiatement après la rachianesthésie. Les signes en faveur d’une méningite ont été retrouvés à J3 postopératoire chez la patiente. Abdellah et al. ont montré un intervalle moyen de 4 jours entre la rachianesthésie et l’apparition des symptômes, avec des extrêmes de 1 et 6 jours [7].La méningite bactérienne est souvent en rapport avec une contamination de l’espace sousarachnoïdien du patient par ses propres germes de la flore cutanée, en cas d’asepsie non rigoureuse, ou par des germes provenant de l’opérateur (matériel non stérile, opérateur non protégé, gouttelettes de pflügge)[4]. Il est recommandé d’appliquer des mesures d’hygiène strictes avant toute rachianesthésie : lavage des mains, désinfection cutanée, ports de calot, gants, masque par l’opérateur et d’un masque facial pour tout le personnel de la salle d’intervention [4]. Ces recommandations sont généralement respectées, mais quelques écarts peuvent survenir de façon isolée. Pour la confirmation diagnostique, une ponction lombaire (PL) aurait dû être réalisée afin de voir la macroscopie du liquide céphalo-rachidien et d’identifier à la culture les germe responsable de la méningite chez cette patiente. Mais la présence de la monoparésie du membre inférieur gauche et de la thrombopénie nous en a dissuadé. Toutefois l’origine bactérienne de cette méningite était fortement suspectée devant le tableau clinique et l’hyperleucocytose à prédominance neutrophile. La revue de Baer et al. indique que dans la majorité des cas, les germes souvent retrouvés après ponctions rachidiennes sont soit des streptoco ques, dont l’espèce la plus fréquente est le Streptococcus salivarius ou viridans, soit des staphylocoques. Ces germes témoignent de précautions d’asepsie insuffisantes, mettant directement en cause la responsabilité de l’opérateur [8]. Sima Zué et al. ont rapporté un cas de méningite bactérienne dont l’issue était fatale. L’espèce identifiée était le Streptococcus du groupe B et l’origine de la contamination était exogène notamment cutanée, favorisée par des fautes d’asepsie [6]. Le retour d’expérience partagé par le Centre de Coordination et de Lutte contre les Infections Nosocomiales(CCLIN) Sud-Ouest, après isolement du Streptococcus salivarius dans le LCR d’une méningite post rachianesthésie pour prothèse du genou, a fait état de trois hypothèses possibles de contamination : contamination par voie hématogène, contamination par migration de microorganismes de la peau vers le cathéter et enfin contamination des instruments utilisés par les anesthésistes [9]. De même, un cas documenté de transmission de Staphylococcus aureus des sécrétions naso-pharyngées d’un anesthésiste à un patient lors d’une PL a été également rapporté [9]. Il s’agit donc presque toujours d’une faute d’asepsie, du fait d’une mauvaise désinfection cutanée ou alors d’un masque facial absent ou défectueux [10].Malgré l’absence d’une preuve bactériologique, mais fort des nombreux apports de la littérature, nous avons pris l’option d’un traitement antibiotique par céphalosporine de 3e génération (ceftriaxone) à dose méningée. L’évolution sous ce traitement a été favorable. Associé à la méningite, un hématome médullaire épidural a été retrouvé en regard du disque intervertébral L1-L2.L’hématome médullaire épidural est une entité rare mais grave. Il survient exceptionnellement après rachianesthésie ou anesthésie péridurale. Son incidence est de 1 pour 150.000 anesthésies périmédullaires [11]. Le saignement peut être d’origine multifactorielle en incriminant aussi bien les veines que les artères de l’espace épidural. Messerer et al ont proposé une classification de l’hématome médullaire épidural, selon l’étiologie la plus probable, quels que soient les facteurs associés, en six groupes : hématome épidural spontané, secondaire, iatrogène, traumatique, récurrent et idiopathique [12]. L’existence d’un trouble patent de l’hémostase est une contre-indication absolue de la rachianesthésie [4]. Cet hématome compressif serait probablement du à l’effraction de vaisseaux sanguins par l’aiguille de rachianesthésie, associée à la thrombopénie retrouvée dans le bilan postopératoire de la patiente. Il était la cause de la monoparésie de la patiente après la rachianesthésie. Il s’agit donc d’une origine iatrogène. La thrombopénie était absente dans le bilan préopératoire. Sa présence serait donc en rapport avec la survenue du HELLP syndrome retrouvé en postopératoire de la césarienne chez cette patiente pré éclamptique sévère. Il est important de noter que le HELLP syndrome peut survenir en post-partum. Sibai et Beye ont retrouvé de proportions respectives de 30% et 35% dans leur série [13, 14]. Il est courant pour la prise en charge de la douleur postopératoire qu’on ait recours aux anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS). Leur effet antiagrégant plaquettaire accessoire pourrait être incriminé dans la survenue de l’hématome. La prise d’aspirine et les AINS ne contre-indiquent pas une anesthésie périmédullaire si, pour un patient donné, on considère que son bénéfice est supérieur au risque exceptionnel d’hématome périmédullaire. Le problème essentiel est plutôt celui des traitements anticoagulants et antiplaquettaires péri opératoires [4]. Dans le cas rapporté, la patiente n’a pas reçu d’AINS pour la prise en charge de la douleur postopératoire ni d’anticoagulant après la césarienne. Donc le traitement médicamenteux ne peut pas être incriminé. La levée de la compression médullaire constituait donc une urgence car le pronostic fonctionnel du membre inférieur était engagé. Après laminectomie de décompression et vidange de l’hématome médullaire épidural, les suites opératoires étaient simples. La patiente a bénéficié de séances de rééducation fonctionnelle.
Conclusion
Ce dossier clinique nous montre que deux complications peuvent survenir après une rachianesthésie chez une patiente. Les complications de la rachianesthésie sont graves mais rares. La présence d’une méningite associée à un hématome épidural lombaire après une rachianesthésie est encore rarissime et la prise en charge constitue une extrême urgence. Leur prévention passe par le respect rigoureux des règles d’asepsie et des contre-indications.
Considération éthique
L’autorisation de publier ce cas clinique a été obtenue auprès des autorités du CHUL, de même que le consentement éclairé de la patiente.
Références
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