PROFIL CLINICO-ECHOGRAPHIQUE DE LA TUBERCULOSE ABDOMINALE AU CENTRE HOSPITALO-UNIVERSITAIRE DE KAMENGE A BUJUMBURA

Manirakiza S1, Ntagirabiri R2, Manirakiza M3,Amani M2

1. CHU Kamenge, Département de Radiologie
2. CHU Kamenge, Département de Médecine interne, Hépato-gastro-entérologie.
3. CHU Kamenge, Département de Médecine interne, Infectiologie.

Auteur correspondant : Manirakiza Sébastien ; Tel : (+257) 71575873/ 75172995 ; E-mail : manirsebastien@yahoo.fr

Résumé

But. L’abdomen est la troisième localisation de la tuberculose après les poumons et la plèvre. L’échographie est l’unedes principales modalités d’imagerie utilisée dans le diagnostic de la tuberculose abdominale. Le but de notre étude était de montrer l’intérêt de l’échographie dans le diagnostic et la prise en charge de la tuberculose abdominale au CHU Kamenge à Bujumbura.

Patients et méthodes. Nous avons mené une étude prospective sur une période de deux ans allant de Janvier 2011 à Décembre 2012 dans le service de Médicine interne du CHU Kamenge. Elle concernait les patients adultes souffrant de tuberculose de localisation abdominale et ayant subis une exploration échographique de l’abdomen. A été inclus dans notre étude tout patient ayant bénéficié d’une échographie abdominale à la recherche d’une localisation abdominale de la tuberculose. Seules 66 patients ont été inclus dans l’analyse car ayant évolué favorablement sous traitement antituberculeux ; critère majeur diagnostique de tuberculose.

Résultats : L’âge moyen de nos patients était de 38 ans avec des extrêmes de 20 et 56 ans. Les patients de sexe masculin représentaient 60,61% des cas. La sérologie VIH était positive chez 87,8% des patients. Les principaux motifs d’hospitalisation étaient les signes d’imprégnation tuberculeuse (87,8%), la douleur abdominale (40,9%) et la distension abdominale (10,6%). L’échographie avait permis la mise en évidence de splénomégalie dans 60,6% des cas, d’adénopathies profondes dans 53,3% des cas, d’hépatomégalie dans 51,5% des cas et d’atteinte péritonéale dans 39,4% des cas. Tous les malades ont eu une bonne évolution clinique sous traitement spécifique de la tuberculose.

Conclusion : L’échographie constitue un des outils d’orientation diagnostique en cas de suspicion de tuberculose abdominale surtout chez les patients à sérologie VIH positive notamment dans les pays où les examens de confirmation bactériologique sont moins disponibles.

Mots clés: Tuberculose abdominale, Echographie, VIH.

Abstract

Objective: Abdomen is the third location of tuberculosis after the lungs and pleura. Ultrasound is one of the majorimaging modalities used in the diagnosis of abdominal tuberculosis. The purpose of our study was to show the diagnostic problem of abdominal tuberculosis and the role of ultrasound in its management at CHU Kamenge.

Patients and method: We conducted a prospective study over a period of two-years from January 2011 to December 2012 in the Internal Medicine Department of CHU Kamenge. We included adult patients suffering from abdominal tuberculosis with a sustainable response under a specific treatment. All patients have had an abdominal ultrasound. Were included in our study all patient who had undergone abdominal ultrasound searching abdominal tuberculosis location. Only 66 patients were included in the analysis because they had favorable response on tuberculosis treatment, which was our major tuberculosis diagnostic criteria.

Results: The average age of patients was 38 years old with extremes of 20 and 56 years old. Male patients accounted for 60.61% of cases. HIV serology was positive in 87.8% of patients. The main reasons for hospitalization were signs of tuberculosis (87.8%), abdominal pain (40.9%) and abdominal distension (10.6%). The ultrasound revealed splenomegaly in 60.6% of cases, deep lymphadenopathy in 53.3% of cases, hepatomegaly in 51.5% of cases and peritoneal involvement in 39.4% of cases.

Conclusion: Ultrasound is one of the diagnostic guidance tools for suspicion of abdominal tuberculosis, especially in patients with positive HIV serology. It is particularly more important in countries where bacteriological confirmation tests are less available.

Keywords: Abdominal tuberculosis, Ultrasound, HIV.

 

Introduction

La tuberculose est un problème majeur de santé publique dans les pays de faibles revenus dont fait partie le Burundi. C’est l’une des principales causes de mortalité et de morbidité dans ces pays où la prévalence du VIH est aussi élevée [1,2]. Sa localisation abdominale vient en troisième position après les poumons et la plèvre et touche principalement le péritoine, le tube digestif et les organes pleins intra-abdominaux [3]. L’expression clinique de la tuberculose abdominale n’est pas spécifique, ce qui rend son diagnostic difficile [4-6]. La mise en évidence des bacilles de Koch (BK) impose une biopsie écho-guidée ou scanno-guidée, une laparoscopie ou une laparotomie pour effectuer des prélèvements, ce qui n’est pas réalisable dans la plupart des hôpitaux [7]. Leur acceptabilité à titre exploratif est aussi mauvaise. A défaut du diagnostic de certitude, on fait recours à un faisceau d’arguments épidémiologiques, cliniques et paracliniques où l’échographie doit avoir un apport d’éléments diagnostiques importants. La reconnaissance des lésions évocatrices permet de réduire à la fois les laparotomies exploratrices et d’apprécier l’évolution au cours du traitement [3,8]. Ensuite, une bonne évolution clinique, radiologique ou échographique après la mise en route du traitement spécifique permet de retenir le diagnostic de tuberculose abdominale [9,10].

Ainsi, nous avons jugé pertinent de mener une étude dont l’objectif était de montrer l’apport de l’échographie dans le diagnostic et la surveillance de la tuberculose abdominale dans un pays à plateau technique limité pour les analyses bactériologiques et anatomo-pathologiques.

Patients et méthodes

Il s’agit d’une étude prospective étendue sur une période de deux ans allant de Janvier 2011 à Décembre 2012. Elle a porté sur des patients adultes hospitalisés dans le service de Médicine interne du Centre Hospitalo-Universitaire Kamenge (CHU Kamenge) pour une suspicion de tuberculose à localisation abdominale.
Dans notre étude, tout patient avec suspicion de tuberculose abdominale et ayant bénéficié d’une échographie était éligible. Le diagnostic de tuberculose abdominale a été retenu devant une bonne évolution clinique sous traitement spécifique de la tuberculose. Nous n’avons pas retenu pour analyse les patients qui sont décédés et/ou sortis sans amélioration clinique par manque de données biologique de certitude pouvant conforter le diagnostic de tuberculose.

 

Résultats

Sur 362 patients avec une suspicion de tuberculose extra pulmonaire, il y avait 102 cas de suspicion de localisation abdominale (28,2%). Nous avons retenu pour analyse dans notre étude 66 patients dont l’évolution clinique sous antituberculeux a été favorable.
L’âge moyen des patients était de 38ans avec des extrêmes de 20 ans et 56 ans. Les hommes représentaient 60,6% des cas (40 patients) avec un sex ratio de 1,53. Parmi nos patients, 40 étaient mariés (60,6%) et 12 étaient des veufs (18,8%). Les caractéristiques épidémiologiques sont représentées dans le tableau I.
La sérologie VIH était positive chez 58 patients (87,8%). Chez 30 patients (45,4%), il y avait déjà au moins un épisode antérieur de tuberculose quelle que soit la localisation. Une altération de l’état général était notée chez 59 patients (89,4%), une fièvre au long cours chez 58 patients (87,8%), une anémie clinique chez 41 patients (62,1%), une douleur abdominale chez 40 patients (60,6%) et une ascite chez 15 patients (22,7%).
Sur le plan biologique, nous avons noté une anémie normochrome microcytaire chez 48 patients (72,7%) et 15 patients (22,7%) avaient une hyperlymphocytose. La ponction d’ascite a été possible chez 9 patients sur 15 qui avaient une ascite. Le liquide était exsudatif dans tous les cas et la recherche de bacilles de Koch (BK) négative chez tous ces 15 patients.
Au cours de l’examen échographiques des anomalies étaient notées au niveau du foie, de la rate, des ganglions et du péritoine (tableau II).

Tableau I : Caractéristiques épidémiologiques de nos patients

 

Tableau II: Caractéristiques échographiques

 

 

 

Dans notre étude, sur 40 patients (60,6%) avec des lésions spléniques, il y avait 18 patients avec rate de taille normale mais présentant des nodules hyperéchogènes (45%) et 17 patients avec une splénomégalie avec des nodules hypo échogènes (42,5%).
Les anomalies hépatiques étaient retrouvées chez 37 patients (56%), l’hépatomégalie homogène était notée chez 23 patients (67,5%) et hétérogène (micronodules hypo échogènes) chez 9 patients (24,3%). Les adénopathies hyperéchogènes intra-abdominales étaient surtout mésentériques (36,7%), para-aortiques (26,5%) et hilaires (24,5%). La localisation péritonéale était évoquée devant la présence d’une ascite et ou un épaississement péritonéal chez 26 patients (39,4%).
L’ascite était de faible abondance chez 19 patients et non cloisonnée chez 25 patients (96,1%). Les lésions intéressaient un seul organe chez 20 patients (30,3%), deux organes chez 30 patients (45,5%) et plus de deux organes chez 16 patients (24,2%) au niveau abdominal. Après deux semaines de traitement antituberculeux, une apyrexie avait été observée chez tous les patients, une reprise de l’appétit a été observée chez 60 patients (90,9%), un gain pondéral chez 45patients (68,2%,) et une disparition de la douleur abdominale chez 50 patients (75,7%).

 

Discussion

La tuberculose est un problème de santé publique qui connaît une recrudescence depuis trois décennies suite à la pandémie du VIH. Elle touche tous les organes avec un grand tropisme pour les poumons. La forme extra-pulmonaire et surtout abdominale est loin d’être rare [5,10]. La suspicion de tuberculose abdominale était faite chez 28,2% des cas de tuberculose extrapulmonaire dans notre série. La tuberculose abdominale touchait les sujets de tout âge avec une nette prédominance des adultes jeunes avec un âge moyen de 38 ans. Ce constat est aussi fait par d’autres auteurs en Inde [4,11], en Afrique du Sud [12] et au Maroc [13]. Une prédominance masculine était notée dans notre étude comme dans celle de Miah et al [14].
La tuberculose était survenue sur un terrain immunodéprimé au VIH chez 87,8% dans notre étude. En effet, les sujets de sexe masculin auraient une faible observance thérapeutique des antirétroviraux (ARV) par rapport aux femmes et ne feraient pas un suivi régulier en cas d’infection VIH. Comme l’infection par VIH favorise la résurgence de la tuberculose, dans notre étude, il y avait 45,4% patients avec déjà un épisode antérieur de tuberculose. L’une des explications est que la tuberculose est la première affection opportuniste au cours du VIH et la localisation abdominale peut être consécutive à une tuberculose pulmonaire mal traitée ou résistante à un traitement antituberculeux spécifique [8]. Dans notre étude, la clinique était dominée par des signes d’imprégnation tuberculeuse. L’altération de l’état général, une fièvre au long cours, une anémie clinique et une douleur abdominale étaient retrouvées chez plus de la moitié de nos patients. Tous ces signes peuvent faire évoquer d’autres affections notamment le cancer.
Sur le plan biologique, l’anémie inflammatoire et une ascite exsudative étaient aussi évocateurs même si les bacilles de Koch n’ont pas été isolés dans notre étude. D’autres auteurs rapportent également la difficulté de retrouver des BK dans l’ascite [15]. En effet, dans les pays à plateau technique insuffisant, le diagnostic de certitude de la forme abdominale reste difficile car les examens mycobactériologiques ne sont pas réalisés faute d’accès aux prélèvements. Dans la plupart des cas, les BK ne sont pas mis en évidence car le liquide d’ascite est pauci bacillaire [5, 13,15]. La recherche de nécrose caséeuse est rarement effectuée car l’accès à la laparoscopie et à l’anatomie pathologie sont très limitées dans les pays à faible revenue. Nous pouvons dire que l’échographie est outil de diagnostic non invasif de plus en plus accessible et qui fournit des arguments supplémentaires confortant le diagnostic de tuberculose abdominale. Dans notre série, au cours de l’exploration échographique, les lésions étaient souvent multiples et plurifocales. Les organes pleins intra-abdominaux étaient les plus atteints avec à la tête la rate. Les lésions spléniques sont souvent dominées par la splénomégalie avec des nodules hypo échogènes disséminés [6,17]. L’hépatomégalie homogène ou hétérogène est communément retrouvée en cas de localisation hépatique [10,18]. Les adénopathies profondes, surtout mésentériques sont souvent observées [18,19]. Elles ne sont pas des signes pathognomoniques de tuberculose ganglionnaire [7].
L’ascite est aussi observée au cours d’autres pathologies chroniques. Elle est d’abondance variable avec des cloisons et ou des échos en suspension [7,15,17,20]. Bien que la bonne évolution clinique et échographique sous traitement antituberculeux nous ait confortés dans le diagnostic de la tuberculose abdominale, des doutes persistent chez les patients qui n’ont pas eu d’amélioration car il pouvait s’agir des formes multi-résistantes. Ces patients devaient avoir subi une laparoscopie voire une laparotomie pour le diagnostic de certitude des lésions observées à
l’échographie [21,22].

Conclusion

L’échographie fournit un faisceau d’arguments complémentaires aux données cliniques, orientant davantage vers un diagnostic de tuberculose abdominale et une décision thérapeutique. La bonne évolution sous traitement spécifique conforte le diagnostic. L’échographie est donc un outil utile au diagnostic de la tuberculose et devrait être beaucoup plus accessible dans les hôpitaux au Burundi.

 

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