TRANSMISSION DE L’HEPATITE C A LIBREVILLE : CAS DE L’HEMODIALYSE CHRONIQUE

Itoudi Bignoumba PE1, Medza Avah G1, Mackanga JR2, Maganga Moussavou I1, Mbourou A2, Akaga A3, Bourobou T2, Touly MA4, Nzouto PD1, Saibou M1, Moussavou Kombila1

1. Service d’hépatologie, de gastroentérologie du CHU de Libreville
2. Centre nationale d’hémodialyse
3. Centre d’hémodialyse ISIS
4. Hôpital d’instruction des armées Omar Bongo Ondimba

Auteur correspondant : Itoudi Bignoumba PE ; ibpemery@yahoo.fr; tel 066906639

 

Résumé :

Introduction : Le Gabon connait une prolifération des centres d’hémodialyse. Nous voulions déterminer le taux d’incidence de l’hépatite C chez les hémodialysés chroniques à Libreville.
Patients et méthode : Il s’agit d’une étude transversale, observationnelle et descriptive réalisée dans 4 centres d’hémodialyse de Libreville entre le 1er Février 2008 et le 31 Décembre 2017. Les patients hémodialysés depuis au moins 12 mois, ayant un statut sérologique connu pour l’hépatite C, l’hépatite B et le VIH avant et pendant le suivi en hémodialyse ont été inclus. Les données démographiques, sérologiques, la durée en hémodialyse, le nombre de transfusion ont été colligés. L’analyse statistique a été faite grâce au logiciel SPSS 21.
Résultats : Parmi les 287 patients inclus, il y avait 181 hommes (63,1%). L’âge moyen était de 49,8±14,1 ans. La séroprévalence de l’hépatite C avant l’entrée en hémodialyse était de 2,1% (n=6). En cours d’hémodialyse, 39 nouveaux cas d’hépatite C sont apparus (taux d’incidence 15,1 personnes-années). Les taux d’incidence respectifs de l’hépatite B et du VIH étaient de 1,5 et 3,9 cas pour 1000 personnes-années. La durée en hémodialyse (p=0,001) et la transfusion sanguine (p=0,008) étaient statistiquement associées à la séroconversion positive de l’hépatite C.
Conclusion : La transmission de l’hépatite C en hémodialyse chronique est élevée à Libreville. La longue durée en hémodialyse et le recours à la transfusion semblent corrélés à ce risque accru.

Mots clés : hépatite B, hépatite C, VIH, hémodialyse, séroconversion

Abstract:

Introduction: Gabon is experiencing a proliferation of hemodialysis centers. The objective was to determine the incidence rate of hepatitis C among chronic hemodialysis in Libreville.
Patients and methods: This is a cross-sectional, observational and descriptive study carried out in 4 hemodialysis centers in Libreville between February 1, 2008 and December 31, 2017. We have included hemodialysis patients for at least 12 months, with known HIV status for hepatitis C, hepatitis B and HIV before and during hemodialysis follow-up. Demographic, serological data, hemodialysis duration, transfusion number were collected. The statistical analysis was done using SPSS 21 software.
Results: Of the 287 patients included, there were 181 men and 106 women. The average age was 49.8 years (± 14.1 years). The seroprevalence of hepatitis C prior to entry into hemodialysis was 2.1% (n=6). During hemodialysis, 39 new cases of hepatitis C appeared (incidence rate 15.1 person-years). The respective incidence rates of hepatitis B and HIV were 1.5 and 3.9 cases per 1000 person-years. Hemodialysis duration (p=0.001) and blood transfusion (p=0.008) were statistically associated with positive seroconversion of hepatitis C.
Conclusion: Hepatitis C transmission in chronic hemodialysis is high in Libreville. Long duration of hemodialysis and the use of transfusion appear to correlate with this increased risk.

Keywords: hepatitis B, hepatitis C, HIV, hemodialysis, seroconversion

 

Introduction

L’organisation mondiale de la santé (OMS) estime à 170 millions d’individus, soit 3% de la population mondiale, le nombre de personnes infectées par le virus de l’hépatite C (VHC) en 2016 [1-3]. Trois à quatre millions de personnes sont nouvellement infectées chaque année et plus de 350000 individus meurent chaque année de pathologies hépatiques liées au VHC [1-3]. Sa transmission exclusivement sanguine fait de l’hémodialyse un facteur de risque indépendant de contamination [1-5]. Pour réduire ce risque, la Kidney Disease Improving Global Outcomes (KDIGO), recommande, depuis 2008, outre l’usage de matériel stérile à usage unique, la transfusion sécurisée, le dépistage systématique avant la mise en hémodialyse des hépatites virales B et C et du VIH, le contrôle semestriel du dépistage pendant la durée de l’hémodialyse, la vaccination obligatoire contre l’hépatite B et la vérification de l’immunisation du personnel soignant dans les centres d’hémodialyse et la formation du personnel sur les précautions standards en hémodialyse [4,5].
Depuis la mise en oeuvre de ces recommandations, une régression de l’hépatite C est constatée chez les hémodialysés dans les pays développés [4,5]. Le Gabon qui est un pays de forte endémicité pour le VHC, connait une prolifération des centres d’hémodialyse [6]. Il n’échappe donc pas aux problématiques de risque infectieux au cours des séances d’hémodialyse. Afin de déterminer ce risque, nous avons réalisé ce travail dont le but était d’estimer la séroconversion positive du VHC chez les hémodialysés chroniques à Libreville et identifier les principaux facteurs associés.

 

Patients et méthodes

Il s’agit d’une étude transversale à la fois rétrospective et prospective, observationnelle et descriptive réalisée dans 4 des 5 centres d’hémodialyse de Libreville. La période rétrospective allait de février 2008 à mai 2017 et la période prospective allait de juin à décembre 2017. Les patients des 4 centres d’hémodialyse inclus dans ce travail, devaient être régulièrement hémodialysés depuis au moins 12 mois. Leur statut sérologique vis-à-vis de l’hépatite C devait être connu avant le début de l’hémodialyse et ils devaient avoir effectué au moins 1 sérologie du VHC, une sérologie VIH, une recherche d’antigène HBs pendant la période prospective et donner un consentement écrit.
A l’aide d’une fiche standardisée, nous avons colligé les données sociodémographiques, le statut sérologique de l’hépatite C, du VIH et de l’hépatite B avant hémodialyse, l’évolution de ce statut sérologique chez les patients séronégatifs, l’étiologie de l’insuffisance rénale terminale, le nombre de séances d’hémodialyse et le nombre de transfusions avant modification du statut sérologique, la notion de toxicomanie intraveineuse, de scarifications, de piercing ou de tatouage, le respect des règles d’asepsie pendant l’hémodialyse et la formation du personnel.
L’analyse statistique a été faite grâce au logiciel SPSS 21. Le critère principal de jugement était la séroconversion positive au VHC. Les critères secondaires de jugement étaient la séroconversion positive du VIH et de l’antigène HBs. Les variables qualitatives étaient exprimées en pourcentage et les variables quantitatives en moyenne ou écart-type. La comparaison des variables quantitatives a été réalisée à l’aide des tests non paramétriques et celle des variables qualitatives avec le Chi carré ou le test de Fisher. Ces tests étaient considérés comme statistiquement significatifs pour une valeur de p inférieure ou égale à 0,05.

 

Résultats

Parmi les 333 patients hémodialysés dans les 4 centres retenus, 292 étaient hémodialysés chroniques. Cinq patients n’ont pas été inclus par refus de consentement, ramenant ainsi l’effectif d’étude à 287 patients. La répartition des patients par centre d’hémodialyse était 71 patients pour le centre 1; 14 patients pour le centre 2 ; 46 patients pour le centre 3 et 156 patients pour le centre 4. Il y avait 181 hommes et 106 femmes soit un sex-ratio de 1,7.
L’âge moyen était de 49,8 ans (±14,1 ans). Les patients avaient un niveau d’étude primaire dans 20,2% des cas, secondaire dans 57,1% des cas et supérieur dans 22,7%. La durée moyenne en hémodialyse était de 5 ans (±2 ans). L’étiologie de la néphropathie initiale était l’hypertension artérielle chez 89,5%, glomérulaire chez 8%, tubulointerstitielle chez 1,8% et indéterminée chez 0,7%.

Tableau I : Evolution sérologique au cours de l’hémodialyse chronique

 

Comme le montre le tableau I, il y avait 6 patients (2,1%) séropositif au VHC avant l’entrée en hémodialyse. Au terme du suivi, nous avons enregistré 39 nouveaux patients séropositifs pour le VHC. Cela représentait un taux d’incidence de 39 pour 2583 personnes-années soit 15,1 cas pour 1000 personnes-années. Le taux d’incidence par centre était respectivement de 20,3 cas pour 1000 personnes-années dans le centre 1 ; 0 cas pour 1000 personnes-années dans le centre 2 ; 16,9 cas pour 1000 personnes-années dans le centre 3 et 13,5 cas pour 1000 personnes-années dans le centre 4. La coïnfection Hépatite B et hépatite C touchait 1 patient (0,3%) avant l’entrée en hémodialyse et 5 patients (1,7%) au terme du suivi soit un taux d’incidence de 1,5 cas pour 1000 personnes-années. La coïnfection hépatite C et VIH, inexistante avant l’entrée en hémodialyse, touchait 10 personnes (3,5%) au terme du suivi soit un taux d’incidence de 3,9 cas pour 1000 personnes-années. Les notions de toxicomanie intraveineuse et de tatouage étaient retrouvées respectivement chez 1 patient (0,3%) et 18 patients (6,3%). Il y avait une association statistiquement significative entre la durée en hémodialyse et la séroconversion positive à l’hépatite C (p=0,001). Plus la durée en hémodialyse était longue, plus le risque de séroconversion positive à l’anticorps de l’hépatite C était élevé. Une relation statistiquement significative entre la transfusion et la séroconversion positive à l’hépatite C était retrouvée (p=0,022). A partir de 5 transfusions, il y avait une association statistiquement significative avec la séroconversion positive de l’hépatite C (p=0,008).

 

Discussion

Le caractère rétrospectif partiel de l’étude et l’aspect déclaratif de certaines données laissent courir le risque d’informations insuffisantes ou inexactes. Toutefois, l’adhésion de 98,3% des 292 patients éligibles (n=287) et les entretiens réguliers avec les patients et le personnel de ces centres ont limité ces manquements. Nos résultats nous paraissent donc être une photographie fiable du risque de transmission de l’hépatite C dans les centres d’hémodialyse à Libreville. La population d’hémodialysés chroniques de Libreville avait un âge moyen de 49,8 ans (±14,1 ans). Cet âge moyen se situe dans l’intervalle d’âges moyens de plusieurs études africaines, réalisées chez des patients hémodialysés chroniques, qui l’estiment entre 41,5 ans et 52,6 ans [7-10]. La prédominance masculine était constante dans les mêmes études ainsi que l’étiologie vasculaire [7-10]. La séroprévalence de l’hépatite C de 2,1% avant la mise en hémodialyse était nettement en-dessous de la prévalence nationale qui se situe entre 6 et 8% [6]. Les coïnfections virales hépatite C et VIH de même qu’hépatite C et hépatite B étaient rares comme dans les travaux de Ndjoyi et Bivigou [11,12]. En cours d’hémodialyse chronique, le taux d’incidence était de 15,1 cas pour 1000 personnes-années. Ce taux d’incidence était similaire aux études africaines qui l’évaluent entre 14 et 20 cas pour 1000 personnes-années [7,8]. Ce taux d’incidence était largement au-dessus de celui des pays industrialisés qui se situe 0,2 à 5 cas pour 1000 patients-années depuis la généralisation des règles de la KDIGO dans ces pays [1,2,4,5]. Les variations du taux d’incidence entre nos différents centres d’hémodialyse qui passent de 0 à 20,3 cas pour 1000 personnes-années s’observent également dans les pays du Maghreb et d’Europe [1-3,7]. Le taux d’incidence nul du centre d’hémodialyse 2 nous semble en rapport avec le très faible effectif des patients hémodialysés au sein de ce centre. L’association statistique entre la séroconversion positive de l’hépatite C et la durée en hémodialyse, retrouvée par plusieurs auteurs, conforte l’idée que l’hémodialyse est un facteur de risque indépendant de transmission du virus de l’hépatite C [1-3,7,8]. De plus, la transfusion sanguine, particulièrement à partir de la 5e transfusion, était statistiquement associée à une séroconversion positive de l’hépatite C. Cela pose le problème de la sécurité transfusionnelle. En effet, bien que les poches de culots érythrocytaires sont testées pour l’hépatite B, l’hépatite C et le VIH avant dispensation, la fenêtre sérologique pourrait expliquer la contamination après transfusions multiples. Les faibles taux d’incidence de l’hépatite B et du VIH qui se situent respectivement à 1,5 et 3,9 cas pour 1000 personnesannées contrastent avec les 15,1 cas pour 1000 personnes-années de l’hépatite C. Ce contraste nécessite la réalisation d’une étude complémentaire afin d’identifier les facteurs responsables d’une telle disparité.

 

Conclusion

La transmission de l’hépatite C en hémodialyse chronique avec un taux d’incidence de 15,1 cas pour 1000 personnes-années était élevée à Libreville. La longue durée en hémodialyse et le recours à la transfusion semblaient corrélés à ce risque accru. Un complément de recherche devrait permettre de comprendre les différences d’incidence avec l’hépatite B et le VIH.

 

Références

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